Week-end catalan dans le massif des albères : 10 et 11 février 2007

   Les voilà regroupés comme bientôt depuis 13 ans, maintenant les arthritiques, les arthrosiques, les précordialgiques, les lombalgiques, les « stentés », les dermatosiques (c’est moi là), les médicamentés ou pas, les irradiés, les papys, les mamys et les nouveaux papas, les revenants revenus. (Et tant pis pour les pas venus !).

   Georges Golse

   Renversons cette manière de voir un tantinet brutale, et comme le ciel gris du samedi  matin se libéra dans une tempête de bleu, disons plutôt que les fringants juvéniles, musculeux, accrocheurs, faciles, exubérants et généreux, gais lurons accourus de l’Auvergne au Tarn, du pays de Grasse à l’Occitanie, des Pyrénées au Cantal, surent donner dans l’ambiance tonique de cet inexistant hiver lors d’un périple festif au cœur des reliefs Ampourdanais.

 

   L’hôtel de la Goleta sis tout près du port de Llança était un musée à lui seul, de la marine et de la peinture réunies, de mobiliers divers ; là se retrouvèrent les « pièces maîtresses » de ce week-end, une quasi trentaine de personnages regroupée sous la houlette du connaisseur incontesté du terroir, côté pistes, chemins et cols : l’Alain de Muret, qui allait nous servir irréprochablement deux visites pas bien longues en distances mais relevées, et de grimpettes abruptes et de beautés cachées.

   Moi qui croyais vers mes vingt ans en quelques balades à pied puis une ou deux incursions pédalantes dans le coin avoir tout vu, tout connu, tout découvert, quel bonheur de constater qu’il reste tant à fouiller, à revoir, à s’émerveiller, et que les chemins n’étaient pas un ou deux, mais multipliés à l’infini !

Dolmen de Can Patiras (Victor Sieso)

Dolmen de Puig d'Esquers

L’épopée mégalithique ? On a pu en avoir quelques beaux aperçus.

Dolmen de Font del Roure

Dolmen de Can Baranc

 Des vestiges sont répertoriés, étudiés, décortiqués, replacés dans le contexte, du moins s’y essayent les érudits ou les amateurs passionnés.

   Les caselles (capitelles chez nous, orrys en montagne Conflanaise ou Capcinoise) plus récentes se devinaient ici et là posées dans le paysage, au bout d’un champ, au bord d’un sentier, voisinant avec les dolmens mystérieux, sépultures supposées, dressés contre tous les vents et toutes les intempéries ; pour sûr, certains depuis se sont un peu affaissés !

   Quant aux édifices romans tout empreints d’une religiosité épurée, nous  tomberons sur quelques splendides spécimens, toitures refaites, murs remontés, mais architecture unique respectée, toujours bâtis primitivement en des sites remarquables d’isolement, de serein recueillement. Qui fut le premier à voir le jour ? Sant Quirze le monastère ou sa chapelle attenante

    San Miquel ou San Silvestre ? Que dire alors des églises ruinées dont on nous signale la présence à grand renfort de panneaux informatifs, comme cette offrande de schiste appelée Sant Genis del Terrer ? Et ce ne furent là que quelques exemples d’une série abondante pour qui sait chercher et s’intéresser à l’histoire en général.

   La tramontane s’est invitée en faisant honneur à sa réputation de vent nettoyeur, de soufflet énergique et purificateur. Remballée la lumière fade du départ le long des plagettes grises: au sommet du Puig d’Esquers, à quelque 600 mètres d’altitude, nous n’étions pas loin de nous envoler vers les blancs moutons multipliés en nombre dans la grande bleue, pour cause de déchaînement éolien. Fallait bien tenir ses effets et savoir garder les pieds sur terre, même en marchant !

    Sous l’intense éclat du triomphal soleil, l’Albère a révélé son souverain visage de terre âpre, totalement sèche et rocailleuse en ses versants les plus orientaux, vaguement garnie de maquis puis de forêt au fur et à mesure qu’on l’observe vers l’ouest ou que l’on gagne une honorable altitude. Effet de l’adret, effet de l’homme, des animaux qu’il a envoyés paître pendant des siècles, des brûlis pour les charbonnières, des coupes pour l’exploitation des bois, l’alimentation des verriers locaux (un musée sur ce thème est à Peralada  nous dira Nadine retour d’une autre type de visite) ;

    L’impression dominante, qui sera confirmée le lendemain, c’est que la sécheresse gagne, que le « bartàs » épineux prend le dessus sur les nobles chênes liège, que les landes et les friches avancent et recouvrent des hectares autrefois rehaussés de murettes. Effet de l’évolution naturelle du climat hors de toute considération anthropique ? Vision faussée par un aperçu forcément incomplet de l’ensemble du massif ? (je pense à l’ubac Français bien mieux loti côté végétation arborescente). Toujours est-il qu’on essaye de maîtriser cet inexorable délaissement, cette mainmise des brûlants étés : on a replanté de la vigne sur des pentes abruptes, on reboise le versant nord du col de Banyuls, on met en valeur d’anciennes sources en y aménageant des haltes ombragées remarquables ou discrètes (témoin la Font del Conill), on taraude la montagne de pistes d’accès, et des mas d’importance subsistent encore, pour l’instant, et c’est heureux, pas tous convertis à la chambre d’hôte ou transformés en  luxueuses résidences secondaires pour propriétaires possédants.

   Bref, il y avait là de quoi amplement méditer et rêver autour de ces deux journées en ces terres de la proche Espagne frontalière. La rétine fut largement frappée de tant de belle lumière, de tant de suaves visions, des crêtes blanches d’un fier Canigou au croissant blond de la superbe plage de Roses. L’esprit porté par cette insistante, pénétrante et permanente senteur de troupeau, de crotte, de bouse parfumée à l’herbe pauvre mais aromatique pouvait voguer au gré des détours proposés, des villages dominés, des baies aperçues, des caps embrassés du regard.  (« Es un mati molt clar, veig part de la badia… » chantait Raimon le Catalan).

   Claude nous dirait l’accompagnement des petits oiseaux musiciens, une effarvatte ici, une charbonnière serrurière là, une alouette pas encore encline à grisoller, quelques pinsons, quelques moineaux, quelques tarins des aulnes, mélangés dans les branches nues, bercés dans les grands eucalyptus exhalant leur éther subtilement.

  Rus vides, torrents pierreux, vallons désespérément assoiffés, seuls les rares violents orages d’été ou une diluvienne pluie d’automne doivent les gonfler subitement d’eaux voleuses de limons, déracineuses d’arbres, comme les oueds de l’autre bord, emporteurs de pierrailles, accélérateurs d’érosion. A plus d’une reprise, je n’ai pu constater que la présence « de un raquitico manantial entre cascotes y guijarros » (une source rachitique entre gravats et cailloux). Un peu comme au pays de Manon des Sources, des légendes ont dû circuler faisant chanter une fois l’an ces fontaines épuisées du bon vin de la treille !

   27 mai 1995, retour de Montauban Badalona : «  Les Albères bleues ont fini par se rapprocher, je les prends de revers avant de m’y enfoncer par l’étonnant chemin du col de Banyuls, 10 kilomètres infiniment longs, particulièrement accidentés, poussiéreux, difficultueux, relevés, sublimes en un mot » (j’étais en randonneuse !). Le chemin n’est plus, à sa place, un billard que nous n’avons pas hésité à parcourir jusqu’à la borne frontière, dont nous irions chercher la suivante un peu plus haut, entre ardoises brillantes et ajoncs en instance d’explosion jaune. D’aucuns pour inscrire, refaire deux ou trois petits cols de plus, moi pour tenter de retrouver dans le souvenir cette traversée pédestre cavaleuse du Perthus à Banyuls gravissant le Roc Rouge (Querroig), un brûlant jour d’été 1975.

   Alain avait prévu  des allées et venues, des détours multiples, sans doute pas ce nez à nez avec une « batuda del senglar » (battue au sanglier), car la chasse en Espagne demeure encore ouverte, au moins le dimanche. Le trio discret Philippe- Georges- Victor passa sans encombre à la conquête d’un ensellement dans la Sureda de les Vinyes, le gros de la troupe se vit apparemment refuser le passage : pour une fois, l’union ne fit pas la force, et les premiers ne furent les derniers que pour poser le cul dans le pré, en sortie de vallon, où bien sûr le bonheur se trouvait à l’heure dite : air suave, soleil clément, échappée merveilleuse, sangria et bon vin à discrétion, sans oublier le gâteau anniversaire de notre Christine : tout le monde savoura sa recette qu’elle pourra proposer à la prochaine semaine fédérale Périgourdine !

   Quelques uns percèrent leur roue, d’autres furent carrément crevés : Nicole, Chantal, ne vinrent pas se hisser au mirador du Coll de la Plaja. Philippe, Claude, rentrés hâtivement (la longue route du retour, le boulot pour d’autres) ne verront pas le site de Sant Quirze de Colera à l’indubitable beauté. Jean Michel, sans doute marqué par le colossal travail fourni la veille (il avait hissé le magnum de Bergerac au Coll de les Artigues !), entravé par des restes douloureux de son intervention orthopédique récente, s’est présenté à l’avant dernier col  en serre file d’un peloton étiré mais subjugué.

   Qu’importe, une ivresse certaine aura conduit la troupe emmi les drailles et les coupe-feux, les olivaies entretenues...

   ...et les chemins baladeurs  jusqu’au terminus d’Espolla. Gloire de lumière, mais les serrements de mains pour des adieux provisoires, s’il y en eut bien quelques uns sur place, allaient se répéter un peu plus avant à Llança même, où l’on put après la douche se saluer jusqu’à la prochaine.

   La balade fut-elle belle (je n’en doute pas) le lendemain du côté de Requesens ? Lundi il pleuvait sur Montpellier et l’air était bien rafraîchi : exactement ce qu’il faut pour s’enfermer au boulot !

                                       Victor, el catalanot

  

    La balade fut belle, non pas du coté de Requesens mais au  dessus de Portbou où se trouvaient quatre cols non encore visités. Un vent très très violent, accompagné de pluie, m'a surpris au point le plus haut du parcours, le Coll de les Llaceres (ci-contre), et , par deux fois, la chute fut évitée de justesse le vent m'ayant rabattu  le poncho sur le visage !

                                                             l'Alain de Muret

 

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