Week-END EN Fenouillèdes: 18 ET 19 Février 2006

Récit de Victor Sieso - Illustrations d'Alain Gillodes

      Le point de ralliement pour notre rencontre en début d’année avait été décidé bien avant le millésime neuf (l’automne dernier) et bien au sud de notre sol français. Naturellement Jean Pierre avait été sollicité et coopté pour la mise en place d’une exploration en vue de décocher de nouveaux cols, ou du moins d’en refaire pas mal, vu que la majorité d’entre nous, sans attendre l’âge de la retraite, a déjà écumé tant et tant de diverses régions à la recherche du moindre ensellement attractif, motivant et…accessible.

     St Martin de Fenouillet qui se situe dans la zone de rencontre des plaques tectoniques afro-ibérique et européenne a été choisi comme centre névralgique de notre séjour plus catalan qu’audois, n’en déplaise à Kikou de Limoux, qui n’avait qu’à franchir les gorges de Pierre-Lys – ce qu’il fit !- pour atteindre cette région bénie des dieux (cyclotouristes) et qui plus accessoirement berça les rêves aventureux de mon adolescence.

      Taïchac fut paraît-il seigneurie en des temps médiévaux : le gîte auberge qui a pris ce nom- apparemment d’origine gauloise vu sa terminaison qui n’est ni en –an ni en –argues, noms plutôt évocateurs des Romains- est comme un cadeau merveilleux pour ce tout petit village de quelques dizaines d’âmes tout au plus. Il vient juste d’être inauguré en novembre dernier (voir coupure de presse), la communauté de communes locale ayant investi gros pour un avenir plus tourné vers le loisir vert d’arrière pays comme on dit, tablant sur les agriculteurs producteurs locaux pour une bonne entente économique et humaine. On ne peut que saluer de telles initiatives, elles pourraient inciter les jeunes à rester ou à revenir au pays. Pour le coup, le cadeau et la bonne surprise furent aussi pour nous qui allions découvrir un havre accueillant, flambant neuf, versé qui plus est sur l’épanouissement culturel du canton.

     Février et l’hiver ne se montreront pour notre escapade à VTT (ou à pied) ni fantasques ni sévères : la morte saison a aussi ses séductions ; et malgré le retard pris par les mimosas et les amandiers, habituels fleurons du printemps précoce, nous n’aurons pas à nous plaindre dans notre cachette en synclinal de l’Agly.                          

 Nous serons deux douzaines environ, chiffre habituel et remarquable, à tracer notre chemin, des noires terres forestières rasant Boucheville endormie, aux granits roses et verts semés sur les landes interminables de Roquejalère ; à nous escrimer dans le vent des bas fonds de la Désix jusqu’aux calcaires osseux jouxtant St Paul, sa Quille et son sillon viticole.

     Samedi, du col St Jean traversé de pistes nouvelles, une bonne moitié de l’effectif s’enhardit à tourner vers Tarérach et le col des Colomines -un vrai 650 pour l’autre confrérie avide de rencontres à ces sommets pour eux calibrés-. Notre point culminant restera modeste pour l’ensemble des deux journées : on rasera les 1100 m au col des Tribes, bien exposé en vue du Conflent lumineux. Il n’en fallait pas plus sous peine de trimer dans les neiges coriaces qui affleuraient d’abondance sur tous nos massifs, après des chutes généreuses et d’eau gelée et des températures.

     A propos de chutes, le terrain gréseux pourvu de racines émergentes, de caillasses enfouies, de passages vaseux ou ensablés, ne manqua pas de flanquer quelques uns d’entre nous dans le décor, et pas des plus maladroits, bien vrai Chantal (de Muret) et Francis ? Les recoins de Sournia furent par ailleurs propices à de sournoises crevaisons de chambre, la faute aux épines semées par les machines déchiqueteuses : j’attends toujours de réparer ma seconde percée et je ne fus pas, loin de là, le recordman du pneu aplati !

C’est ce même samedi que nous fîmes connaissance  sur les hauteurs dégagées entre Corbière et Pyrène de drôles d’hommes en combinaison extra terrestre, montés en ces crêtes sur de rutilants véhicules, allumeurs et éteigneurs de feux : par Sainte Barbe ! il s’agissait d’une horde de jeunes sapeurs venus de Nogent le Rotrou, qui n’avaient pas trouvé meilleur terrain pour leur flambée d’entraînement que ces cistaies bleutées et dégingandées courant de colline en colline jusqu’au bas des montagnes. En fait de capiteux parfum de gomme végétale, ce furent plutôt les relents des fumées que nous captâmes, fumées qui faillirent un moment brouiller l’horizon sublime de l’enfilade des monts couronnés de neige.

     Alex qui rentra dimanche de bonne heure pour retrouver sa Pierrette empêchée, rata quelque chose en ce jour du Seigneur sur les crêtes du Bentafrida, où un panneau indiqua, surtout à l’adresse des connaisseurs, un certain Col Bas qui comme son nom ne le dit pas, dominait l’attachant pays de Rabouillet.

     On aurait pu penser que le second jour serait moins lumineux que la veille : erreur, une fois visité le vrai faux viaduc romain d’Ansignan, les nues poussées par un vent violent comme venu à la rescousse, dégagèrent du ciel, livrant passage à un soleil entier et magnifique. Aussitôt tout le relief s’accusa et certains atteignirent presque suants – comme en été - Prats village si bien positionné, prenant lascivement les rayons sur l’adret. La tramontane magistrale était dans ces bonnes œuvres.

     Qui n’aura pas vu ou ressenti à l’occasion du sain et tonique exercice pédalant (ou marchant pour les dames) que ce pays hanté de ruines, relevé de miradors, envahi de cistes arborescents et ligneux (pas les glutineux ou les duveteux de chez nous), sillonné de pistes, la présence d’une histoire remontant bien loin, celle des mégalithes, des menhirs d’avant JC, celle du temps des croisades ou des templiers, aux époques guerrières des luttes de civilisation, la chrétienne et l’arabo-musulmane (tiens, cela ne rappelle-t-il pas quelque chose de très contemporain ?- oui, Bélesta de la Frontière n’est pas si loin dans ce « désert Montalbanais » que nous côtoyâmes ?

     Le château de Séquerre où je fis un crochet, sa chapelle branlante en limite de plateau pastoral sur la ligne de crête du ravin de Rapane, les ruines de Palmes auxquelles on semble s’intéresser vu le dégagement récent des ronces buissonnantes, les chapelles sentinelles de St Just-St Pasteur ou celle de St Michel, réparties dans les plis de ces pauvres montagnes schisteuses et granitiques, tel pont romain près des sources vitales- que les hommes découvraient parce que les troupeaux d’antan en se déplaçant mettaient à jour ces points d’eau cachés, toutes ces fermes dont certaines encore en activité, tous ces vieux « courtals » abandonnés dispersés dans une montagne ingrate et dépeuplée, sévère et comme misérable, entre Catalogne et Septimanie d’alors, sont là sentinelles encore présentes et parlantes, pour nous rappeler la foi, la volonté, le courage qui ont animé les générations de ceux qui furent quelque part finalement nos aïeux, nos ancêtres, nos grands parents.

     La tramontane balaie aujourd’hui ce monde « d’épinailles » et de blocs. Les remparts, les donjons ainsi pompeusement répertoriés ne sont que chicots et restes de murettes écroulés. Sangliers et lapins y sont aujourd’hui à leur aise. Les limites en pierres sèches que l’on entretenait avec acharnement, rebâtissait avec patience, rehaussait sans relâche, ont sombré dans la végétation, la tourmente de l’abandon et de la mortelle négligence.  

     Ça fait plus que du bien de se ressourcer ainsi, de lâcher la bride au travail, de sortir un peu du moule post-moderne où l’environnement technologique actuel nous a conduits. L’adorable itinéraire de correcte longueur pour la saison (pour beaucoup c’est un peu la reprise) aura réussi à semer un soupçon de parfum d’ailleurs, à nous conduire « en d’autres temps en d’autres lieux ». Eh oui, la tour de Prats de Sournia au pied de laquelle nous paressâmes au soleil en ce dimanche décalé n’était rien moins que wisigothique, faisant partie de ces « atalayas » à signaux, comme à Tautavel et plus tard Quéribus, Massane, Madeloc. N’a-t-on pas mis à jour récemment 208 tombes wisigothiques justement, du 7° siècle donc, à Estagel ? Et Campoussy, formidable plateforme pastorale, était en réalité le « camp de l’ours », pas la bête fauve des bois environnants, mais celle de la constellation céleste, et les Wisigoths figuraient sur leur étendard l’animal totem. Secrets de l’histoire sacrée, magie des contes et des songes, il y avait tout cela en cette fin de semaine extraordinaire.

     Sans compter la présence d’un Canigou prestigieux, somptueux, majestueux, glorieux, blanc jusqu’en bas comme on dit chez nous au moment des Pâques (et nous n’y sommes pas encore !), sans évoquer la musique des rivières rafraîchissantes et babillantes, inscrivant leurs tours et leurs détours parmi le maquis profus, s’égrenant charmantes et souriantes lors même qu’elles furent rageuses et boueuses voici dix jours à peine ;

sans oublier bien sûr l’ambiance du peloton dans la nature ou de l’équipe autour de la tablée du soir : heureuse, chaleureuse, joyeuse, festive, illuminée de la pétillance d’une blanquette, de la mousse d’un champagne (Gérard néo grand père et  néo retraité marquait ainsi le pas, merci au Grassois d’honneur), relevée des saveurs des apéritifs et friandises diverses que notre groupe n’oublie jamais de faire partager.

     Nous aurons taraudé des lieux fabuleux où pour une fois ne planait pas l’ombre d’un chasseur. Vous souvenez-vous d’avoir entendu la mésange messagère du printemps  quelque part vers Vira alors qu’on se désaltérait à la fontaine lavoir ? Lorsque nous nous retrouverons en septembre, quelque part au Pays Basque, les hirondelles à tire d’aile seront déjà parties pour d’autres contrées, mais là c’est une autre histoire qu’il faudra savourer et raconter…en son temps !                                                       

        Victor de Catalunya nord      

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