La Ratabouillade hivernale, samedi 22 et dimanche 23 février 2014

 

Mas de Roux, Mas de Roux avez-vous dit ? Dix fois, vingt fois on y est passé devant sans y prêter attention. Ce qui est un tort, presque une faute, car depuis une quinzaine d’années, cette ancienne magnanerie, passée depuis ferme, cave ou cellier, est devenu un sacré gîte d’étape avec hébergement et restauration, sans faire pour autant de l’ombre à son distingué voisin homonyme château encadré de buis et de grands chênes. Voilà  la cible choisie par Jean Pierre pour l’informelle concentration de février des centcolistes et autres fervents crapahuteurs, amis de la salsepareille et du Ruscus Petit Houx, accessoirement et principalement de cols en embuscade.

On trouvera là entre les hauts murs de calcaire froid, qui sont loin d’être ceux d’une prison (surtout avec l’exposition de tableaux  prônant la libération de la femme africaine, un trio plein d’entrain pour nous accueillir : Pascale, Sophie et le chef William.

 

L’an passé à Fonsalives perdu au fin fond d’une Auvergne distante, j’arrivai bon dernier, à moitié égaré sous l’orage et en début de nuit, encore aujourd’hui vendredi je parviens dans la même position au site d’étape, toujours de nuit, mais après une route paisible et sans encombre depuis Montpellier, ce qui ne fait pas si loin, juste au dessus de Quissac. Je n’ai pas voulu jouer les guest stars in extremis, sinon involontairement,  car ce soir, j’ai encore le temps de participer à l’apéritif de bienvenue, comme il se doit largement pourvu par tous autant que nous sommes, soit la bonne trentaine.

 

On fait haie autour des amuse-gueule, dans la foule, un come-back, Jeannot, pas revu depuis des lustres. L’homme n’a pas changé, les années roulent sur lui comme l’eau sur le granit, sans tellement le marquer. Retour aussi d’un jumeau en âge avec le précédent, André, il n’a porté que sa randonneuse, ne sera avec nous que pour les agapes, les repas, pas pour s’échiner sur les chemins de terre : manque d’entrain ou de sorties ? Il ne faudrait pas que l’homme d’Ambert nous rejoue le Misanthrope pour septembre prochain, reste dans son « récantou » d’isolé. Un nouveau venu, même si ce n’est que pour samedi : Jean-Marie, qui est de chez nous, bon rouleur venu prendre la température de notre très informel attroupement (je pense que le thermomètre n’est pas resté au bleu, qu’il est allé sur la zone rouge). Tous les autres sont des habitués, de plus ou moins longue date, et il ne se trouve guère d’absents, sinon pour raison de santé. Les seules rouleuses vététistes du we  seront les deux Chantal et Nathalie, Pierrette partiellement. Martine est bien là, mais encore sous le coup de sa chute de décembre, préfèrera par prudence mettre un peu de distance vis-à-vis de l’exercice tout terrain.

 

Le pays de Quissac Coutach nous a accueillis dans une flambée d’azur assez rare pour être signalée. Il n’est pas fréquent en effet, je l’affirme par expérience, que les fins de semaine brillent par la lumière : assez systématiquement le gris et le deuil du ciel ont été jusqu’ici de mise, quand ce n’était pas la pluie ou le fort vent. Même dans notre sud privilégié. De quoi rester à la maison. Les parcours établis par Jean Pierre, transposés sur planificateur par le féru d’informatique Gérard (il n’est pas le seul à disposer de GPS, qui se généralise), comportaient certes quelques cols. Ils sont maintenant signalés par de belles bandes jaunes ceinturant les poteaux baliseurs disposés à l’endroit ad-hoc pour les promeneurs. Juste retour des données géographiques locales si souvent occultées par la signalétique moderniste qui favorise les grosses villes au détriment des villages, qui oublie la distance, l’appellation de la route : à quoi bon jeter de l’argent par les fenêtres pour une si incomplète information ? Ce n’est qu’un des côtés ahurissants des tendances actuelles, la tendance à la déculturation…

 

Quelques cols donc, et beaucoup de domaines, des centres équestres (Ah ! Baruel et ses Lusitaniens), de vastes espaces ouverts faisant suite à l’immense incendie qui avait ravagé les deux côtés de la nationale du côté de Moulézan dans les années 80 (le vaste bois de Lens), des châteaux viticoles (Florian, Cauviac), des magnaneries encore debout sur le haut des collines (Les Gardies), des hameaux rustiques paisiblement blottis  dans des cadres enchanteurs (Puechredon)., sans compter le détour par la circulade revisitée de Durfort, les contreforts précévenols vers St Martin de Sossenac. Le menu ne manquait pas de variété. On n’a pas été jusqu’à l’étage du châtaignier, on a roulé entre les chênes verts, dans le maquis autant que dans la garrigue. On découvrira l’insolite domaine portant en figure de proue l’extraordinaire église de Pise (qui n’avait pas de mauvais penchant !), sortie de terre, ou plutôt des ruines d’une ancienne bergerie, entre les années 1992 et 1998. Pour le coup, l’Eglise Réformée a prêté main forte à la catholicité traditionnelle pour élever une construction qui a tous les attributs de la romanité. Dommage que la porte nous fût fermée pour apprécier les verrières et le silence de la petite nef !

 

Les neiges déposées sur les hauteurs de la Lozère, Cévenole ou Ardéchoise, semblaient bleuir sous tant de ciel pur, comme pour commencer à fondre, alors qu’un long mois d’hiver reste à tirer. Avec les amandiers blancs du dimanche, la pureté des lignes des horizons diaphanes, cette paix dans le décor m’a emporté sans difficulté sur le bateau blanc qui dansait dans le bleu de mes rêves d’enfant (Bécaud). J’espère que nous sommes tous restés de grands enfants en dépit des cheveux blancs et des rides, de la retraite de la plupart, crénom.

 

Kikou n’a pas été aussi drôle sans sa grolle du samedi soir : le pape était en dedans, fatigué, comme triste : on l’a vu combattre courbant le dos sur la colline, poser assez souvent le pied à terre sur la pente caillouteuse : un début de renonciation comme Dédé ? Une fuite des années et de l’influx ? Une passe délicate et passagère ? Après tout Alex (et Pierrette) ont pris aussi la tangente en tel ou tel point du parcours : manque de forme, manque de jus, manque de confiance qui sait, obligation de grand parent encore. Mais Alex va mieux, je l’ai vu au moment d’aller se coucher revenir parmi nous pour entonner l’hymne du groupe emporté par les vapeurs d’alcool et mené par la baguette goguenarde d’un Jean-Pierre toujours égal à lui-même pour entraîner la chorale vers une Espagne au soleil comm’ça !

 

Gérard a offert la Blanquette pour son accession au rang des promus des BPF et BCN (brevet des provinces  et des communes remarquables de notre hexagone). Qui aura roulé avec lui lundi pour pêcher un col routier ou deux de plus ? Le temps avait viré de bord hélas. Le vide infiniment pur des jours précédents avait cédé la place à un ciel tumultueux plein de reliefs nuageux patibulaires et menaçants, revirement couru et classique en cette basse saison émergeant peu à peu de la longue nuit de l’hiver. N’étant pas le seul à devoir reprendre le boulot dès le début de la semaine, je n’ai pas choisi l’option la Royale pour ce séjour à Bragassargues, me contentant d’une formule Basique, mais patience, bientôt, pas encore pour le prochain Carnaval de Limoux, je pourrai rester à la fricassée du dimanche soir et prendre les oripeaux de l’indien, du paysan, du rebelle. Car la tradition de ces rendez-vous biannuels doit se poursuivre, n’en déplaise à la moyenne d’âge qui en prend un coup à chaque fois. Après tout, et tout bien réfléchi, le verbe pédaler doit se conjuguer au quotidien, comme le verbe résister. Le ravissement doit dépasser l’avancée des ans, le formidable doit advenir comme on a vu pointer les prémisses du printemps renaissant en ces deux journées extraordinaires, lors même que nos printemps s’éloignent à tire d’aile !

 

J’étais venu visiter à pied en 1978 les recoins boisés de Cannes et Clairan, sous la neige, dans le soleil aussi, et ce terroir entre Quissac et Uzès déjà m’avait paru magique, enchanteur, délicieux. Un vaste incendie passa par là, qui heureusement épargna quelques hectares sauvages. Depuis, on a balisé larga manu, beaucoup de versants restent habités, entretenus, cultivés. C’est heureux ainsi cette évolution des choses.

Comme dirait Alfeo, pour faire bref : un séjour comme ça, une ambiance comme ça !

On n’est pas encore « absolutely flamagasted », on viendra reprendre sinon la cuite du moins la goutte, ou la grolle, on viendra crotter les vélos et souiller les habits, tout en conservant l’humeur limpide. Rendez-vous donc dans les Bauges, pour septembre, avec ou sans brouillard, avec ou sans 2000.

 

Vivent les Alpes et les Préalpes, les monts et les vaux, les cols et les Cent Cols !

Victor le Sioux.