Week-end en pays basque: 2 et 3 septembre 2006

 

     Courant mai, Claude S. de Périgueux envoie à chacun des habituels émargeurs de notre informel groupe de chasseurs de cols sa feuille de route pour septembre : date décalée par rapport à ce qui avait été annoncé, aucun schéma ou proposition de parcours. Il aura fallu pour les uns et pour les autres rectifier le tir pour prétendre se rendre là bas si loin, dégager cette fin de semaine promise aux bouchons des retours de grandes vacances, rappeler l’organisateur volontaire pour confirmer qu’il n’y avait point erreur. Est-ce ce changement de date qui provoqua la défection d’au moins cinq couples traditionnellement présents, et fit qu’on se retrouva une bonne douzaine, la moitié de l’effectif attendu ? Possible, mais d’autres facteurs, familiaux, personnels, heureux ou moins heureux, sont intervenus ces derniers temps qui ont réduit notre bande de 50 %. Pour une fois en tout cas, la météo ne sera pour rien dans les défections annoncées : rarement en effet premier week-end de septembre eût une aussi bonne tenue atmosphérique. Qu’on en juge: bruine, crachin et petite pluie de nuit ont préparé un samedi matin de brumes, mais le rideau allait être tiré pour le restant du séjour sur un pharamineux azur. Le long voyage auto n’aura pas été inutile: point de repli hâté, d’escamotage de circuit par la faute d’intempéries, quel singulier cadeau en un pays en moyenne deux fois plus arrosé que notre midi !
     La Soule est un coin qui dans mon souvenir reste magique, avec ses nappes forestières, ses brebis dodues sur d’idylliques pâturages, les profils élancés des sommets frontaliers, les pentes extravagantes de ses molles collines et de ses routes étroites, les horizons de crêtes traversées un lointain jour de l’été 1970 où je ralliais la Méditerranée à l’Océan avec le solide Jean Michel natif de Lourdios. Les ans ont passé, l’émotion ne s’amenuise pas, et c’est heureux. On ne peut tout refaire, tout revoir, des pans de vie sont franchis avant que se présente telle occasion de revenir un peu sur ses pas en tel ou tel lieu, de réveiller des souvenirs presque gommés, comme virtuels : était-ce bien moi, ce gamin de 20 ans crapahutant au sommet d’Occabé dans la carapace des crottes ovines, traçant vers Errozaté, filant vers Orgambidesca et les Aldudes, pour repartir vers Berdaritz, Alcurrunz et la Rhune, dans la vision d’un ouest toujours recommencé, pour aboutir triomphant sur la plage de fin sable lavé d’Hendaye ? Eh oui, c’était moi comme chantait Bécaud !

    Les souvenirs se construisent avec l’âge, se multiplient, se confondent, et si les forces physiques inexorablement vont déclinant imperceptiblement, le quinquagénaire et à plus forte raison le sexagénaire révolus s’enrichissent de ces immatériels acquis.

    Milou, qui ne doit pas être loin de la retraite comme tous les actifs présents sur le terrain, faillit bien rentrer bredouille n’était la providence qui alla se nicher du côté de Tardets (Abense), où un mécanicien agricole trouva la bonne tige de 7 mm pour assujettir une selle brutalement déglinguée de son portoir, la vis de fixation ayant cassé net dans un creux herbeux ! 

    Rien ne pressait, on avait le temps, on laissait filer tranquillement les minutes et les quarts d’heure pour que chasse la brume avant  qu’on n’accède sur les hauteurs d’Ahusky. En cherchant un col d’Oxibar paisiblement installé au dessus d’un parador d’écolos brutalement surpris dans leur éden  broussailleux par le peloton fourrailleur.
   V.Sieso
     En gravissant pour ce qui me concerne les lacets aériens vers la source minérale surgie au ras d’une cime rase. En goûtant le casse-croûte à l’auberge...  .

     ...dominant un décor de rêve fait d’une suave et vaporeuse mer de nues éphémères et d’un immense déploiement d’horizons dévoilés au dernier moment. On se sentirait presque pousser des ailes à l’instar de ces vautours et autres rapaces tournoyant dans le bleu d’un ciel tout à coup infiniment propre.

     Un regret justement à propos de cols, moi qui n’émarge pas – mea culpa minima - à la confrérie des Chauvot et autre Poty : celui de n’avoir pas poussé au-delà d’Ibarburia et de Burdin Olatzé, vers le proche et facile d’accès Arhansus, sis à 928 m entre Bagargui et Aphanize. Il est vrai que je devais être qui sait un des rares de notre « grupetto » à ne l’avoir pas encore franchi ! C’est pas tous les jours qu’on tutoie d’aussi séduisantes « tempêtes de bleu » comme dirait l’Alain fin connaisseur du terroir. Mais on y reviendra !

   

     Le Bosmendietta (Sagukidoy, 976 m) fit pas mal de dégât en pleine digestion, les pourcentages hors des plates vallées  secouent de manière constante celui qui s’aventure en Pays Basque, et le sachant, il adopte l’allure et le braquet pour passer le cap, ce que tout le petit monde fit à son rythme...

       ... pour se retrouver dans les bruyères  et les lépiotes de l’Idigorria perché juste un peu au dessus du précédent ensellement (1050 m).

      Le soleil se fit quand même voler la vedette sur la piste descendante enroulée en jolis virages que l’on dédaigna, allez savoir pourquoi, préférant l’abrupte draille caillouteuse saignant l’arête à vif, pour chercher à conquérir un inaccessible col planqué sur un versant opposé. Si les bolides motorisés à quatre roues empruntent cet itinéraire dimanche en huit, à l’occasion de ce 50° rallye des cimes- qui aura été la cause finalement du déplacement de date de notre randonnée-, bonjour l’érosion et gare à la renverse !

     Car les nuages placides comme venus des profondeurs océanes gagnèrent peu à peu  les horizons devenus blafards, comme éloignés. Mais ç’en était fini de notre première journée, pleinement réussie et enlevée haut la main malgré l’incident mécanique du premier quart d’heure. L’air chaud, lourd et pesant règne sur la rivière paisible qui a donné son nom au gîte : le Saison.

     Soirée plus spiritueuse que spirituelle, comme d’habitude, encore que l’effet de groupe ne fut pas aussi important qu’en d’autres occasions bien plus arrosées. Le Merlot fit l’affaire, un Bordeaux et un muscat de Hambourg ( ?) aussi. La Marylin tornade blanche terrible d’efficacité – on est loin du service léthargique du gérant de ND del Coral de septembre dernier- nous somma de passer à table pour une piperade bien parfumée de poivrons, ce qui se révéla être un excellent entracte entre deux séances de visionnage d’images mises en forme et en musique par notre petit grand homme clermontois, j’ai nommé JJ.  Dehors il restait de la place pour un silence propice au recueillement, à l’introspection, assez d’air dans l’espace noir pour permettre à Kikou de savourer son havane. Et moi je me rongeais un peu les méninges parce que ma jante se faisait ronger par un patin sans doute entamé jusqu’à sa limite. Mais le Déjean de Limoux, s’il n’avait pas oublié la Blanquette, en vrai retraité qu’il est maintenant, s’est rangé de ses outils, de sa camionnette dépanneuse. Il n’est plus l’artisan adroit équipé de pied en cap sur qui on pouvait compter. Bilan : impossible de trouver dans le gîte ou parmi nous ne serait-ce qu’une pince coupante. Il aurait fallu qu’à Licq-Atherey - le mini bourg qui nous servit d’étape - se trouve un autre providentiel mécanicien tractoriste pour que mon vtt que je fais suivre toujours sans regarder de trop près ses organes vitaux prenne sa cure de jouvence. Mon frein fut révisé, pas vraiment réparé, ce qu’il faudra qu’il soit pour février prochain !

      Dimanche fut éblouissant d’un bord à l’autre, de l’aube claire (et inattendue) au départ vers nos pénates (pour la  plupart des actifs) ; récompense inespérée pour tous ceux qui avaient écouté les prévisions à cinq jours plutôt maussades. Si l’on s’en tenait à ce que raconte la météo, on resterait chez soi plus que de raison !

     Chemins secs, pistes grimpantes, détours forestiers, débouchés panoramiques sublimes,...

    ... senteurs mêlées des herbes sèches ou fleuries de l’estive et des sous bois automnaux, fantastique lumière sur la chaîne des Pyrénées si souvent prise dans les nues et incroyablement dégagée ce week-end : même Claude l’organisateur ne s’attendait pas à de telles faveurs.

    Nos deux vétérans seniors, l’un d’Ambert et l’autre de Limoux, qui se reconnaîtront, malgré le poids des ans ont passé les obstacles comme les autres, et surtout n’ont manqué aucune variante...

  ....car le parcours fut un peu improvisé sur le terrain, ainsi au dessus de Tardets où nous allâmes chercher le petit col de Sagalepoué à 328 m,...

   ...ainsi aux alentours de Haux où nous décrochâmes l’Arbits (572 m) sans faire retour à la ferme et au goudron, préférant la draille boueuse et caillouteuse pour vaches et moutons à la trop facile glissade en roue libre vers Laguinge.

    L’œil a continué à se promener sur le déroulement tranquille de la cordillère écrasée sous un soleil chaud plus que de raison. A Baralzagué (610 m), une fois posé le cul sur l’herbe, on avait plus envie de festoyer que de reprendre le guidon. Les coups d’œil à la jumelle de notre ornithologue amateur agrandissaient encore l’ampleur du paysage offert à notre regard. 

 

 

    Lorsque le temps se comporte aussi bien, on n’a plus qu’un seul désir : rester encore dans la contrée, mais ça, seuls les retraités et certains veinards peuvent se le permettre. Heureux donc ceux qui demeurèrent en ce coin béni de la Soule pour un lundi crapahuteur : les Arbailles, le col de Napale, la Madeleine ou la Sainte Barbe, le col des Palombières, il me faudra bien venir les visiter ! Patience…dans l’azur, comme dirait un certain Hubert Reeves !

                                               Victor Sieso

                                     

        

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