VTT à Camplong-d'Aude: 4 et 5 février puis 29 et 30 septembre 2012 

crédit photo: Alain Gillodes - récit de Victor Sieso

      Deux week-end où la météo ne nous a pas été favorable: vent violent, neige pour le premier, fortes pluies pour le second. Mais peu importe! l'essentiel n'est-il pas de nous retrouver?

                                                                                                                                                                              alain

     Samedi 4 février

     J’ai rejoint Camplong d’Aude de nuit, la route (ou plutôt l’autoroute) n’était pas bien longue. J’avais quitté le boulot soleil couchant constatant que le vent furibard s’était levé l’après midi. J’avais prêté plus d’attention au thermomètre qu’aux flèches des courants d’air. Tempête du soir n’est pas désespoir. J’avais l’esprit plus rivé sur la vague de froid envahissante qui n’arrête pas depuis le début de la semaine de laminer la France et qui promet de durer. Je soupçonnais à cause de cela des défections. Il y en aura, pas si nombreuses puisque nous nous retrouvons à 25 dans ce centre Paul Balmigère tout neuf, et bien chauffé pour notre confort. Les Périgourdins Jean Michel, Claude, Christine, Philippe ont décliné l’offre au vu de la polaire météo, anticipant des problèmes de retour pour dimanche soir avec la neige qui s’invitera probablement. Georges de Madic était pressenti mais il fera défection pour la même raison. Pour le reste, l’équipe était là, jeunes et moins jeunes, dames et messieurs, confiants en des lendemains qui chantent, en des vents qui s’atténuent, en des froids qui se supportent.

      C’était sans compter sur ce Midi farceur à ses heures qui sait porter l’estocade et fournit des chiffres record dans les annales des bulletins météorologiques. Le mistral, ou la tramontane, nous feront plier boutique, renoncer même à l’élémentaire monte sur un vélo. Jean-Pierre l’organisateur testa le fond de l’air vers huit heures et demi le samedi : rafales intenables, chutes assurées (pas rigolo d’être « revessejats », renversés), clouage au sol assuré et gestion impossible d’un guidon malmené. Alors on se rabattra sur une marche. Cela fait dix huit ans que l’on tourne en comité restreint et les exemples du passé où le temps a mal tourné ne sont pas si nombreux (Lioran, Briandes), mais jamais on n’avait dû à ce point plier sous la tempête. A combien soufflait le vent en cette folle journée du 4 février dans ce couloir Audois ? Quelles étaient les pointes sur les caps ou sur les crêtes ? Face au vent fou, on n’en restera pas moins sages : on s’essayera à l’abord de la croupe énorme d’Alaric en la prenant à revers sur son versant le moins exposé. J’ai proposé cette escapade sans prétendre emporter l’unanimité, sans savoir seulement si elle pourrait aboutir, car il a fallu improviser et sur la carte (merci Kikou) et sur le terrain où chasseurs défricheurs et défonceurs mécaniques de pentes nous ont fait cheminer entre maquis et broussailles avant de pouvoir gagner la petite route très exposée de Montlaur.

     La décision de filer directement explorer les crêtes du sommet local (600 m tout de même) à partir du défilé du Congoust (un joli pléonasme comme le fait remarquer Alain) n’emporta sans doute pas tous les suffrages. Les gens aiment bien le goudron, mais à bicyclette (et sans rafales insensées n’est-il pas, Pierrette et Alex ?), aussi plutôt que de jouer les pélerins dans un couloir glacé, on part s’aventurer témérairement sur les calcaires relevés filant droit vers le poste de surveillance des incendies, comme il s’en trouve plantés dans tant de tertres méridionaux (Mont Brion, Pic St Loup, Pic de Vissou, Roc Blanc de Séranne, etc.).

      Enveloppé dans le maximum d’épaisseurs vestimentaires, ganté, encagoulé, à peu près bien chaussé, le groupe s’égrène et s’échine sur l’arête grise et verte malmenée par les sautes énormes d’un vent qui ne laisse aucun répit. On se demande même si on pourra trouver un abri, manger sans se geler les mains, malgré le soleil vif et un ciel  totalement limpide.

 

      La gifle magistrale ne nous rebutera pas, on gravira l’obstacle, bravera le souffle réfrigérant. Une halte sera même observée pour un rapide en-cas, même si à ce moment-là, trois lascars étaient déjà de l’avant partis en éclaireurs voir ce qui se passait sur l’ubac du mont. En effet, je n’avais point repéré de passage et comptais faire revenir le paquet par le GR36 et une bretelle descendant avant Montlaur. Ce en quoi je faisais erreur, car plusieurs passages sont aménagés sur le versant nord, qui paradoxalement sera moins exposé face à l’agitation furibonde et froide : un GR77 file vers Moux et coupe une piste forestière qu’on pourra emprunter pour rentrer sur Camplong. On fera même mieux, empruntant une trace nette qui rejoint une coupe forestière (je me souvenais des pins sombres de Barbaira, mais c’est un peu plus à l’ouest dans le massif).

A l'entrée du défilé du Congoust, cap sur le GR 36...
... et les ruines de St-Michel de Nahuze.
De la glace sur les chemins et de l'eau gelée dans les gourdes.

    On a laissé partir Christophe, indisposé aux mains et aux pieds malgré ses doubles épaisseurs, il tentera de trouver un peu de chaleur décrispante dans les argiles plus bas situées. Mais même au soleil, sur le coup de 14 h, la glace reste sèche et blanche, résolument solide. Le pinson s’ébouriffe, le gibier se cache (j’ai surpris une grosse perdrix transie dans les ruines de St Michel, surprise archéologique du jour perchée sur son piton exposé), le cheval et l’âne poussent leurs poils, le nemrod même n’ose pas sortir

Une halte avant de trouver un abri...
...pour pique-niquer
Guy au sommet de l'Alaric
Descente vers Camplong, sur le versant nord...
...à l'abri du vent!

     Du bol dans notre pérégrination : partis un peu au hasard, déroutés par la vilenie et la malfaisance d’un vent ouragan, on réussira à accomplir une petite boucle qui nous octroya un gigantesque bol d’air. Pas de mal aux petons, pas trop de douleurs aux cuisses, Francis s’en tira avec une élongation à un genou. Une fois rendus au gîte, en tout début d’une radieuse et lumineuse après midi, on pourra comparer les données respectives des possesseurs de GPS : 12 ou 13 bornes, plus de 700 m de montées, trois heures de marche effectives s’il faut en croire les données brutes fournies par satellite interposé. Peu importe, on a vécu une sacrée sortie, le vent ne nous a pas emportés, il aurait pu y avoir une autre alternative dans l’alternative, mais les choses se sont ainsi goupillées. Christophe aura fait son chemin de pénitence et les amateurs de cols resteront sur leur faim : pas un seul ensellement sur notre mini itinéraire.

Retour sur Camplong-d'Aude et portail du Domaine de l'Andronne

      L’impression d’accalmie n’est qu’apparente, à l’heure qu’il est il doit faire à peine un degré sous abri comme on dit. J’irai explorer les ruelles désertes du village où pas même ne paraît un chien : entre les porches et les vieilles pierres, la rue de l’ancien café, la place de la fontaine et la noble façade du domaine de l’Androune (photo de droite: V.Sieso), je plonge un instant dans le rétro. Le jour est bien trop long pour demeurer à s’ennuyer sans même un jeu de cartes dans la vaste salle d’accueil : une fois douché, une fois déposé l’attirail du cyclo polaire, je prolonge joyeusement l’exercice pédestre en prenant le chemin des champs jusqu’à l’ermitage de ND de Consolation. Peut-être y suis-je allé inconsciemment chercher quelque réconfort, apporter une muette prière pour demain ; il est vrai que pour le coup, le fond de l’air s’est fait un soupçon seulement plus suave. La glace restait épaisse au fond des fossés mais le soleil déclinant brillait presque chaleureusement.

      Dimanche 5 février

      Or la soubrette du restaurant Mauzac où nous sommes allés prendre les deux repas d’un soir, juste à côté du centre de vacances, nous l’a bien seriné, si le samedi serait froid et venteux, dimanche sera neigeux, on n’y coupera apparemment pas !

      Est-ce dans l’air du temps ? La salle était-elle trop vaste dans le gîte communal ? L’impression personnelle fut que la blanquette de Kikou (rime avec Limoux) me parut un peu moins joyeuse et enlevée que d’habitude. Même artisanale et pour les dames, même concurrencée par la grolle de Régis –un rite de passage parfumé et alcoolisé pour se donner du cœur à l’ouvrage-, même pleine de douceurs et accompagnant d’autres douceurs, il m’a semblé que la ferveur était moindre, peut-être n’étions-nous pas assez nombreux, peut-être les absents avaient le tort de ne pas être avec nous, simplement n’était-ce que cette obsession du froid et du vent qui envahît nos têtes ?

      On a moins entendu les coups de boutoirs démentiels de la tramontane du fond de notre lit : dimanche arrive moins tourmenté, mais sans lune et sans étoiles : un voile s’est mis haut dans le ciel, qui laissera passer  un soleil triomphal à l’est, mais pas pour longtemps. Les rayons chaleureux (si l’on peut dire, car le thermomètre ne fera guère mieux que la veille) seront absorbés complètement au moment de partir, de tenter quelque chose. Car les rafales se sont fortement atténuées avec le lever complet du jour, on pourra donc rouler. Mais l’autre menace, celle de la neige, prévue dans la journée, va obliger Jean-Pierre à écourter la belle balade prévue au départ même de Camplong. Nous ne serons plus que 9 à nous aligner pour une promenade, pas bien longue en effet, grise et tristounette, enveloppée de froidure. On a beau être « embolcats » (habillés de plusieurs couches), le froid gagne insensiblement. Christophe, une fois encore, ne sera pas à la fête, Martine non plus, que guette l’onglée en dépit d’un équipage correct. On a pu pénétrer, entrevoir le monde magique et mystérieux des Corbières Occidentales. Depuis les hauteurs du Pas d’Aigues (359 m), le seul col engrangé du week-end, on a pu voir Canigou et Madres sombrer dans la pesante dépression neigeuse. Ici aussi, les collines de Taurize, le sol caillouteux et sec, les pauvres versants à maquis, les vignes des bas fonds aux ceps nus, sont prêts à recevoir le blanc manteau. On est passés rapidement du vent décoiffant qui accentuait la sensation de froid vif à un jour sans lumière et d’air presque immobile, par contraste, prêt à accueillir la floconnée de l’hiver.

      Jean-Pierre l’a-t-il fait exprès ? Parti sans sac à dos (on a prévu de rentrer pour casser la graine au gîte à la mi-journée), il n’a pas de carte, et personne ne peut l’aider, pas même les GPS d’Emile ou de Jean Marc, quoique..

      On a grimpé un tertre pauvre, atteint un plateau perché face à l’Alaric laissé au nord, on a plongé en une série de longs virages jusqu’à l’Orbieu conglacé, voyant disparaître la corniche blanchie et proche de Lacamp-Lairière. On laisse le labyrinthe corbiérique de Mayronnes pour des jours meilleurs, nous restons raisonnables, le temps est contre nous. Il n’est plus vraiment très agréable de cheminer sans pouvoir moindrement se réchauffer. Rouler sur le plat vers Lagrasse n’arrange pas les extrémités. Une vigilance orange a été lancée pour tout le Piémont et l’ouest Pyrénéen, ça sent la giboulée, on fera donc un repli de précaution. On battra en retraite le long de cet Orbieu transformé pour le coup en Neva glacée.

   

Le point chaud de Lagrasse (photo V.Sieso)

       La messe était dite, enfin presque. Pourquoi se crisper et s’entêter à rentrer au plus vite au bercail qui n’est plus bien loin ? Je propose un point chaud à Lagrasse, où nous trouvons effectivement un estaminet open. Un peu de bonne humeur avec le fumet des boissons tièdes et réconfortantes. Merci à Gérard qui s’est montré discrètement plus rapide que moi pour régler la note. C’était sans doute le moins gelé d’entre nous !

      Trente bornes, mieux que rien, assez toutefois pour entrevoir un pays de collines complexes, de détours pittoresques follement, de chemins d’aventure qu’on laisse sans regret pour une visite ultérieure obligatoire et si possible avec des cieux plus cléments.

       Retour donc à la case départ peu après midi, on grignotera les restes abondants sans trop insister sur les vins, car personne ne traînera dans les lieux. Beaucoup sont déjà sur la route. On apprendra que Claude et Catherine se sont retrouvés coincés du côté de Narbonne (mais pas par des congères : une bête histoire de clés oubliées dans l’habitacle refermé), que Chantal et Francis rencontreront la neige. Il faudra aller voir sur le site de Muret ce qui a bien pu se faire dans la concentration orchestrée par Alain et l’autre Chantal repartis de bon matin. Quant à moi, je file sans jouer les prolongations devant l’arrivée des premiers flocons qui brouillent la croupe massive de l’Alaric. Fort heureusement, il n’y a guère que le couloir de Carcassonne à connaître la menace blanche, car au droit de l’Hérault, c’est le soleil inattendu qui va revenir en force illuminer un paisible paysage point malmené par un quelconque cers imperator. La méfiance nous a fait quitter les lieux prématurément, scrogneugneu. Difficile de faire plus et mieux, le week-end malgré tout aura été sauvé. Kikou nouveau marcheur ira méditer son coup d’essai sur les crêtes hurlantes du roc de l’Aigle.

      Presque un miracle en débarquant chez moi, c’est le sourire d’un soleil paisible qui va m’inviter, puisque j’ai gardé ma tenue pédalante, à enfourcher le vtt et rouler encore une bonne vingtaine de kilomètres, de 15 h à 17 h 30 plus précisément, le long d’un Hérault fleuve ne portant absolument aucun stigmate de glace. Le fond de l’air est frais, mais rien à voir avec ce que nous venons de vivre. Il reste pourtant à traverser une rude période, il n’y aura pas de vermine dans les jardins, mais le spectacle sera affligeant au moment du dégel, le souvenir de 1956 doit hanter certains vieux agriculteurs.

                                                                                                            Victor, un revenu de Malepère.

      Samedi 29 septembre

      La troupe de février dernier avait remis ça, confiante qu’en une fin septembre, les rigueurs de l’hiver et du cers on pourrait leur faire la nique. Il fallait la revanche de ce février glacial et souffleté de tempête qui nous empêcha d’aller voir les cols cachés d’une Corbière secrète. Six mois plus avant donc, la double douzaine de vélos tout terrain était là pour en découdre derechef, quitte à tomber sur des hordes de chasseurs en battue ou sur des propriétés devenues privées. Mais il était écrit que les choses ne se dérouleraient pas  selon le tranquille schéma où tout le monde regagnerait ses pénates le panier bien rempli de tous ces petits cols (une bonne vingtaine) ne dépassant pas pour l’histoire les 500 mètres.

      Air doux et lune voilée s’étaient donné rendez-vous dès vendredi soir au pied du mont Alaric omniprésent dans son profil de bête couchée attendant sournoisement son heure pour faire parler d’elle. Le restaurant attenant du clos de Mauzac comme l’hiver dernier, pour nous ouvrit ses portes et nous offrira pour deux soirées un menu correct auquel les apéritifs de bienvenue apportés par chacun ne firent pas totalement barrage ni ombrage. La météo que j’avais distraitement consultée avait parlé de journée chaotique dans le midi pour samedi, sans plus. Pas d’alerte jaune ou orange, si prompte à tapisser d’une teinte alarmiste de vastes étendues de territoires. S’il allait pleuvoir un tantinet, l’éclaircie serait pour l’après midi, avec levée de vent et de nuages.

      La mise en place à Monséret pour une boucle autour du promontoire de St Victor et à proximité des pinèdes du domaine de Fontfroide se fit sous la menace planante d’un ciel lugubre. Il suffisait de partir à pied sec sur des chemins secs, après, l’on verrait bien dans le vif du sujet et au cœur des garrigues la solution à apporter en cas de précipitation incongrue. 

      Tout avait bien commencé: en remontant les gorges vers Fontjoncouse, on se prenait à penser que la météo s'était peut-être trompée!!
      De 9 à 11, la nue nous laissa en paix : la Corbière pauvre, aride presque autour de Fontjoncouse, livra son visage austère et noble, des buissons rabougris, une herbe ténue, des cailloux multipliés, des arbres disséminés, et pourtant un vignoble encore en production, une colle de vendangeurs par ci, une machine à vendanger  par là. Un chien blanc au pelage négligé, pas perdu car avec collier, joua la fille de l’air avec nous une bonne dizaine de bornes, jusqu’en s’en user les coussinets. Le Médor désinvolte aura-t-il trouvé sa niche en  restant fureter avec une harde de frères près de chasseurs rassemblés ? On ne le revit plus  dès que l’on s’esquiva vers Col de Rouire. Petits détours charmants mais maquis épineux. Il y aura trois percées et même une chute dans la matinée qui se voulait anodine.

      Hélas! il n'en fut rien; après avoir mis dans notre escarcelle les modestes cols de la Louve, de Guira et de Rouire
nous sommes arrivés au Col de Vente Farine au milieu des éclairs et du tonnerre.

      Des éclairs comme des coups de craie sur le tableau noir, un grondement de plus en plus net du tonnerre approchant, un voile de gris qui nous cerne de plus en plus, c’en était fait de tout espoir d’éclaircie et  de déroulement décontracté de la journée. Il a fallu s’encaper au retour du col d’En Craus, moment que choisit Francis pour briser sa chaîne. Comme les druides officiant sous le chêne, les mécaniciens outillés remirent en route le vélo à l’abri d’un cade géant.

Les plus courageux firent tomber le Col d'En Craus tandis que les autres...

      ...pressés de se mettre à l'abri, dévalèrent rapidement sur Durban pour se réfugier dans un café. Le retour sur Montséret, où nous avions laissé les voitures, se fit sous des trombes d'eau qui durèrent tout l'après-midi et jusque tard dans la nuit.

      Ça n’empêcha pas qu’on arrive comme des soupes au seul bar de Durban ouvert. Une aubaine dans notre début de débâcle. Aucune accalmie de l’averse pendant qu’on travaille des mandibules. Au contraire, l’orage inaugural s’éloigne et la belle pluie va rester. On n’irait pas faire la boucle derrière le château, adieu Portel, Gléon et Mandourelle, Ste Eugénie, Mule et Portanel. On se fera porter pâle pour la seconde partie du circuit. Le retour à Montséret serait direct et par la route, sans discussion et à l’unanimité. Pas d’animosité, pas de regret. Habillés de bric et de broc, calfeutrés comme l’on pouvait, on se remit en selle pour une douche magistrale pas prévue au programme. Flic floc font les souliers, humide devient l’arrière-train, sans pare boue, la flotte vient d’en dessous. Pourvu que personne ne crève ! Personne ne percera. En l’espace de trois quarts d’heure, on retrouve les voitures, lessivées, tout comme les rues du village parcourues par des ruisseaux ocres.

      Le souvenir de novembre 1999 est bien présent, mais la dépression ne sera pas telle qu’elle fasse déborder les oueds locaux ni s’écrouler les murettes. Simple coup d’humeur juste pour  barrer la voie aux centcolistes ? On peut se poser la question, légitimement.

     Il pleuvra dix heures d’affilée, peut-être plus. Est-ce pour cause de météo maussade que la blanquette fut restreinte le soir du samedi ? Il n’y avait pas à fêter une bien grosse récolte, alors Kikou réserva sa cuvée pour un lendemain qui chante. Voire, et cette fois les Cassandre ne se tromperont pas : il n’y aura pas un coup de pédale dimanche. Sur le coup de huit heures du matin, quasiment personne ne se pointa en tenue de cyclo dans la vaste salle de séjour. Les clés du gîte avaient bien été retrouvées, pas celles pour ouvrir le beau temps, accueillir l’éclaircie. La bruine continuait et un bougre de vent, ogre méchant descendu d’un nord obstrué, depuis un bon moment s’entêtait à malmener les belles plantations des allées. A part la douceur relative de l’atmosphère, un vrai remake de février. Camplong ville rouge (par le raisin mais surtout par tradition politique) a vu noir.  La malédiction des derniers parfaits semble retentir parvenue des tréfonds d’un Bugarach vengeur. Alaric sous sa cape grise semble ricaner de notre pauvre sort. Pas de revanche d’automne sur un premier séjour miteux : les voies de la vengeance de la Nature sont impénétrables.

      Dimanche 30 septembre:
      Qu’allions-nous faire de notre journée, de tous ces restes de fromages, boissons, pains, beurre, confitures ? On a bien déjeuné mais sans grande joie. Il faut se rendre à l’évidence : même une promenade pédestre vers le tertre de St Victor n’est pas envisageable. Les horizons empêtrés sont affligeants. La glaise doit être partout sur les chemins. Les vélos seront rangés dans les voitures. Près de la moitié des comparses s’éclipsera vers son home, sa ville, sa vallée, tout comme lèvera le camp le convoi des quatre-quatre venus de Haute Garonne la veille pour aller vers quelle destination, Gérard nous le dira qui palabra avec l’un des conducteurs. Pas vers des pistes trapues apparemment, les véhicules étaient trop propres et rutilants, les tenues pas celles de baroudeurs.

Pour ceux qui sont restés visite, "dans la fraîcheur et l'humidité" dixit Guy, de l'abbaye de Fontfroide

      Nadine eut l’idée d’une visite à Fontfroide. Bonne idée ? Sans doute mieux qu’un détour vers Lagrasse, trop déporté de la bifurcation des autoroutes, trop à l’intérieur des terres et du carrefour de Narbonne. On n’aura pas à regretter, bien au contraire, d’avoir remisé notre tenue de pédaleur (ou de marcheur). La découverte (ou la revoyure) du site de l’abbaye fut une parenthèse remarquable, une plongée dans l’histoire, un voyage en des lieux hantés jadis par les moines et les convers, des faux abbés et de vrais papes. Les familles Fayet et D’Endoque de Sériège qui depuis quelques générations (1908) occupent les lieux font bien les choses. Restaurations, restitutions, fleurissements, mécénat d’art, le vallon de Fontfroide est magique. Les froides pierres des murs d’ubac témoignent certes de la rigueur cistercienne (Citeaux, Raymond de Clairvaux), mais le bon vin, la bonne chère et les bonnes manières ont fait nid dans ce creux  de verdure douillet qui faillit être la proie des flammes en 1986. Pas le temps de trotter jusqu’à la croix pour deviser le paysage. Il était déjà près de 13 heures au bout de la magistrale visite guidée. On n’allait pas se quitter comme ça : Jean-Pierre propose Ornaisons et son café, là même où voici un an (ou deux ?) on se donna rendez-vous pour une randonnée découverte dont notre hôte a le secret.

Depuis la garrigue, magnifique vue d'ensemble sur les bâtiments monastiques.

      Le ciel restait triste encore mais les yeux pétillaient. On était bien ensemble même si un pan de ces Corbières Occidentales convoitées allait garder ses secrets. « Camplong maudit Camplong fini ! » avait lancé Christophe que ses mains dérangent dès qu’il fait un peu trop humide ou un peu trop froid. Il n’y aura pas de troisième rassemblement au centre Paul Balmigère, foi de Jean-Pierre. Mais il ne faut jurer de rien. Maintenant on connaît l’adresse et l’hébergement propose des tarifs abordables. Restera planté en notre âme un goût de revenez-y comme dirait l’ami de jeunesse de Kikou, maintenant retraité au village, qui se plut à évoquer les frasques rugbystiques ou cyclo-crossantes d’une lointaine jeunesse libre et effrontée. Le melon cantalou fut bon, même avec soleil absent. Soleil qui bien entendu éclairera sous un azur extra dès lundi une Corbière lavée, restituée à sa paisible solitude. Les visiteurs frustrés méditeront longtemps encore les raisons obscures de ce refus répété de la part de la vielle formation secondaire de lever un coin de son voile.

                           Victor, l’homme des manuscrits pas enluminés

      Deux fois déçu par la météo, Jean-Pierre a juré qu'on n'y reviendrait pas: mais sait-on jamais!!