TUCHAN 2002 - Compte rendu de Victor

 

Week-end cent coliste. les 23 et 24 février 2002:

 

Février, chez nous, c’est par excellence le mois du vent, le mois du froid. Aussi depuis quelques années celui des retrouvailles de qui vous savez: la troupe des joyeux drilles émargeant peu ou prou à la confrérie, que dis-je, au club des cent Cols. Chose promise, chose due. On s'était quitté avec des projets en tête, le premier arrive à échéance.

En cette ultime semaine du second mois de l'année, nous eûmes en conséquence le vent, un peu de froid, une troupe presque complète, et même un petit chouïa de pluie venue saupoudrer la frange la plus méridionale de nos Corbières, site qu'avait élu d'un commun et collégial accord la petite vingtaine de vététistes fidèles de septembre dernier.

 L'organisateur responsable des circuits et de l'hébergement, notre JPR régional (bientôt national?) n'était pas dans sa plus grande forme, émergeant lentement d'un état bronchiteux prolongé. Mais fatigué ou pas il fut bien là et nous guida     sans erreur dans le monde vaste et varié du massif calcaire, dont on ne sait s'il est émanation des Pyrénées, prolongement du Massif Central, ou des deux à la fOIS.

  L'artiste découpeur d'itinéraires truffé de cols rassemblés en deux boucles, celle "longue" du samedi, celle plus brève du dimanche, put même donner de la voix, spontanément, autour d'une tablée arrosée et devant un brasillant feu de bois où le cuissot de cochon devint tranches cuites à point en rissolant sur la lèchefrites.

 Le Relais d'Aguilar, parfumé et coloré de splendides mimosas -acacia dealbata plutôt- fut investi pacifiquement par les nouveaux croisés du XXJ° siècle, les mordus des pistes et sentes, les arpenteurs de chemins de galère, les conquérants de coupes non Graalesques ni trophées de victoires, qu'on peut imaginer, telle la hotte du Père Noël, débordant de cols et de "pas" bien de chez nous. Nous n'eûmes pas de Golgotha à franchir, encore que Victor, votre ci-devant rédacteur, s'illustra par l'accession à la Tour Nord des Géographes sous un ciel de tempête 1 ; mais nous passâmes non loin de Golta, centre équestre perdu sur un plateau perdu. Sans doute ratâmes-nous le col de Cabri ère et le col de Gade: les officiels vous confirmeront mieux que moi.

Un an passe, les cheveux s'éclaircissent, les traits se tirent, la mine discrètement mais sûrement se fripe. Il ne faut pas craindre de le dire. Il se trouve des grands pères et des grand' mères de plus maintenant dans notre groupe coloré qui de loin, dans son harmonieuse unité, peut donner le change avec la troupe fraîche des cadets. Ce n'est certes pas le naufrage de la vieillesse, mais nous en prenons le chemin; même si on a à en remontrer aux jeunes fringants...ou aux sédentaires avachis de notre génération.

 Première nuit: ronflèrent les rafales mistraleuses plus que les ronfleurs sur oreiller. Sombre fut le ciel  à l’'aube du samedi. Ce week-end allait-il naufrager? Pour le soleil, allait-on faire tintin, pas vrai Milou le nouveau venu?

 De fait, l'astre solaire brillera par son absence, les caprices des nuages lui barrant la route. Il aura manqué à notre entrevue hivernale les ombres et les lumières contrastées qui font la marque du terroir. On aurait pu vibrer autrement. On aurait aimé voir s'illuminer de vrai les dizaines d'amandiers surgis en robe claire de la rocaille. Miss Tramontane n'aura brassé qu'une foultitude de brumes acharnées et concentrées sur le front chauve, massif et débonnaire de Tauch.

 L'accent du pays, ce fut le vent donc; le vent fou, le vent chantant, radouci dans les recoins planqués, déchaîné sur certains ensellements, crêtes ou plateaux. Ce regain d'air vif dans la grisaille a semblé sans cesse faire bouger le paysage, celui chaotique du ciel, celui non moins confus des terres à sauvagine.

 Michel l' arthrodésé du poignet ne prenait-il pas des risques superflus en s'élançant avec nous? N'allait-il pas compromettre ses chances en ajoutant aux pièges propres du terrain les ruse d' Eole en furie? Et Christine toussotante allait-elle enfin nettoyer ses bronches à Tuchan- Tuissan, faisant sa cure d'élixir béchique à coups de pales d'éoliennes naturelles, incapables par ailleurs de débarrasser le ciel de son magma de vase et de boue. Gérard en short de bonne heure n' a-t-il pas provoqué l'ire des cieux en négligeant les bons et plus que supportables collants longs? Même le Martial venu que le lendemain dimanche fut estomaqué par tant de gifles venteuses (demandez-le lui !).

 Giboulées frisquettes, ventilateur permanent des plus fantasques, sans arc-en-ciel de consolation: un temps de février, un temps de "malastre", pas si pourri en somme qu'il nous laissera tout faire de ce qui était inscrit au programme. Nous n'eûmes donc que le cadeau des corolles pâles ou roses des amandiers épanouis au dessus des maigres vignes aux souches nues; bouquet sympathique, toujours surprenant, annonciateur précoce d'un printemps futur plein d'autres bonnes choses.

La tramontane énervée nuit et jour n'aura donc pas désarçonné les randonneurs pugnaces que j'ai trouvé ma foi pas mal affûtés, ni suffi à sécher la boue parfois glissante des pistes.

A bien y réfléchir, peut-être les conditions étaient réunies pour explorer idéalement, revisiter ou découvrir le dédale merveilleux du maquis Corbiérique.

On navigua sans hâte et sans erreur entre bruyères cendrées, arbousiers touffus, buis buissonnants, chênes épais, calcaires squelettiques et friches malingres, schistes friables et noirs, vallons agités ou recueillis, pâtures chevalines (ah Lacamp, Labat et Tauch, nostalgiques plateaux où l'on se sent ailleurs, déboussolés, désorientés, comme en prise directe avec le cie!!).

Je reviens à Lemercier, là où vers mes 20 ans j'y lus Fromentin -le peintre- parmi les mésanges charbonnières et le parfum des violettes. La ligne haute-tension est passée par là. Le reste du décor n'a guère changé. Nous sans doute seulement: une génération est passée par là aussi. . .

Palairac fut notre halte méridienne qui tomba fort à propos. Chantal avait percé, la factrice était passé. Le ciel pleurnichait. La placette revivait: au pied des maisons toutes retapées, on vint même nous servir thé et café. Décidément JPR connaît tout le monde et n'a pas son pareil pour faire fraterniser les uns et les autres!

Après Tauch, après Faste, ma pédalée en apparté d'un moment me conduit à la source d'Ourtigas, où pas une goutte ne sourd des pierres: détournement? Sécheresse? Tarissement par obstruction? L'eau coulait si bien en 96 sous les platanes ombreux! Point d'orgue un peu triste à un samedi pédalant resté si peu lumineux.

Le Maccabeo du patron, le Rioja venu de Ripoll, la Blanquette du rugbyman, la prune ou la poire en liqueur de derrière les fagots n'ont pas réussi à faire délier la langue au Sphinx Georges, le terrasseur de serpents pentus: il nous a promis la surprise dans son Cantal pour septembre à venir, quel que soit le temps (paraît-il). Le Madicois est resté coi,  il ne lâchera pas le fromage (lui qui nous a pourtant débité du meilleur entre-deux fermier à table)!

Dimanche, rebelote: non seulement le gros temps pèse sur Tauch, mais la flotte persistante de la nuit a sans doute bien préparé les pistes pour nous! Terrains imbibés, argiles collantes, cape probable: mauvaise limonade? On fera notre route quand même. Visitant d'abord Aguilar, fière ruine cathare bravant ce jour la froide tempête, petit "fils de Carcassonne" en regard du donjon vertigineux de Quéribus ou de l'enceinte en nid d'aigle de Peyrepertuse. Sillonnant des vignes éloignées avec des cols plantés au beau milieu des ceps. Tournoyant dans les bartàs à sanglier, dans le dédale labyrinthique, tortueux et torturé du triangle délimité par Embres, le col d'Extrême et Tuchan. Le BCMF de mai 96 VTT passa plus ou moins dans ces mêmes coins. Quelques évocations me reviennent. J'avais oublié. Le contexte n'est pas le même, ni la saison. Aujourd'hui la bise souffle, le grain passe, le layon du jour se cache, mais l'estimable beauté demeure et rayonne pour qui sait la voir, la sentir. Le Corbière est rude et ne déçoit jamais, pour peu que l'on sache se donner la peine de la tarauder un peu, comme nous l'avons fait.

 Ouranos sans être contre nous ne se rangea pas pleinement de notre côté. Ciel de guerre et vent "bouffon" ne nous ont pas mis à terre. Pas balayés. Le déluge ne nous est pas tombé sur la tête. Le temps maussade froiduleux a su faire amende honorable (et même su faire fleurir amandier). Et comme pour couronner une mission accomplie, la fugace éclaircie en réaccédant à Tuchan vers les 15 heures livra la récompense tant attendue: le surgissement éclatant des nuages blancs des fleurs portées par milliers au dessus des terres sans vie, comme convolant à l'unisson vers le printemps prometteur.

Mais là haut, à l'heure de nous disperser, Tauch retourne à ses noirceurs néfastes... Un week-end plein de nuages mais plein de bonnes choses se termine. Je me sens devenu un peu plus « auTauch tone »... Déjà on tourne le dos au Canigou brouillé, déjà la voiture file vers Narbonne: on va y aller en son pays d'Auvergne, où qu' y' a une surprise comme ça!! (72 km et environ 2000 mètres ; 45 km et environ 1000 mètres de dénivelé)

 Ce fut ma prière sur l'Acropole à moi, pour découvrir non les marguerites- chrysanthèmes de la pelouse sommitale-il est bien trop tôt- mais les lourds et puissants chevaux crinières au vent, robe sombre sous le ciel sombre, accessoirement pour constater l'intrusion gémissante des éoliennes dont le parc, si j'en juge les socles bétonnés supplémentaires implantés, va devenir une blessure pour les yeux. Ohé Gilbert, le temps.t'a-il laissé loisir de grimper là-haut lundi matin? La rude colline ne sera plus ce qu'elle fût ; on ne la verra plusqu'artificiellement couronnée!