BUIS-LES-BARONNIES

 

Sortie vtt samedi 13 et dimanche 14 septembre 1997

      La "colomania" a conduit pour cette fin d'été les fervents prêtres de la confrérie en un site béni pour sa richesse en porteilles, pas, collades et ensellements divers: les Baronnies Drômoises. Depuis longtemps 1 'hérétique que je suis avait transmis son sauf-conduit au "saintralisateur" Gilbert. La vingtaine de moines et les abbesses accompagnatrices (ou parties prenantes) avaient pour l'occasion réinvesti le cloître des Dominicains de Buis.

      C'est en salle de justice que la première prière fut dite, arrosée comme il se doit. Car si les cent-colistes (et sans-colistes) savent monter les cols, ils savent encore mieux descendre les bouteilles surtout lorsque le vin est partagé comme le seront efforts et extases pour les deux journées communes. Parvenues de Bourgogne, issues du Languedoc, élevées dans le Piémont ou le Bordelais, les dites bouteilles ne demeurèrent pas longtemps bouchées. Les révérentes sommités ne pouvaient non plus ne pas apporter à la table commune les rondins de fromage, les bûches de pâte molle, les roues de St Nectaire, les quartiers de Cantal.

      Certains Bénédictins plus chanceux ou débrouillards que d'autres avaient déjà rempli leur divine mission dès vendredi en glanant de glorieux cols planqués derrière les hautes collines du pays d'Ouvèze, prêchant leur profession de foi du haut de leur vtt. Les derniers venus eurent droit aux suprêmes oraisons de ces heureux élus. Ils parlaient de soleil, de chaleur, de poussiéreux chemins, de noms inconnus: Rocher Percé, Corbière, Angélus...Le "Grand Rassembleur" pourtant subit cette après midi là le contrecoup d'une épreuve, sous la forme d'une chute, sur goudron qui plus est. On a beau avoir bravé les dangers des routes de nuit, cheminé avec le risque des traversées diagonaleuses, accompli à de multiples reprises le bréviaire des Audax au complet; on n'en demeure pas moins proie facile face à l'aléatoire, surtout lorsqu'on croit toute alarme éloignée.

      Un certain Jacques- j'allais dire de Compostelle, tant il nous fit rêver à travers son initiatique diaporama Pyrénéen- , Auvergnat et Lozérien de préférence, s'était joint au groupe des assidus. Son intronisation en un site si solennel fut des plus réussies.

      Les Claustrés laissèrent leur défroque pour passer à table, oublièrent l'austérité de la pierre ambiante autour d'un joyeux repas où le maître de musique JPR, délaissant un instant ses orgues et les ordres, y alla de son cantique ensoleillé. C'était samedi soir. Les 15 cols du jour étaient passés du papier aux jambes et à la tête. Les fervents disciples tous unis eurent à affronter le déluge de onze heures en toute sérénité. Le miracle de la grange à foin était là tout près, et l'érable de la paix et du pain partagés guère plus loin. Le noir tournoiement de nuages s'étant déchiré en courte avoinée, l'averse aussi furieuse que brève ne céda la place qu'à un ciel tristounet. Mais les frugaux pédaleurs savent se contenter du peu qui leur est offert. Les monts tonsurés ou coiffés de maquis reçurent la  visite du peloton des croyants. La messe était à moitié dite.

      Parcours moins allongé pour dimanche, moins exigeant en dénivelé- au moins sur les compteurs-, paradoxalement mieux pourvu en cols et pas dépourvu de mini-Golgothas. Le "Grand Architecte" Gilbert a bien découpé l'affaire. Si le terrible Ceri es nous en fit voir le samedi, le petit Bodon ne manqua pas de relief le lendemain. La lumière de rêve y était pour quelque chose, mais la pente aussi! Que ce soit du haut des Plates, point culminant du deuxième jour, ou de la cime de Votes, Posterle, Milmandre ou Malpertuis, le spectacle des capricieux reliefs complexes sous le bel éclairage de ce second printemps qui se pointe était à damner un saint. Septembre sut encore verser son soleil, généreusement, sur tous ces obsédés du col.

      Les chemins, les prés, les collines ne dégorgeaient plus de fleurs, mais les lavandes coupées dispersaient leur encens subtil parmi la petite troupe d'ouailles disciplinées. Le terrain calcaire était propice au dérapage malvenu. Gilbert inquiet pour sa petite gêne apicale ne manqua pas de provoquer le mauvais sort en s'étoilant en controlatéral de son choc de l'avant-veille. Daniel qui sut grimper la quasi totalité des obstacles- pour surmonter sa détresse, faire un pied de nez à ses kilos et à son mal-, fit aussi connaissance de très près avec la touffe de thym, la branche égratignante, la rocaille grise. J'ai failli moi-même m'envoyer dans le décor sur une droite ligne un peu trop pourvue en graviers mouvants, et j'ai vu Martine, perle bleue dans le ciel bleu, chasser du pied pour conjurer la chute!

      Le "Vieil Homme" André, cyclo du pays des burons au visage buriné saura-t-il nous dire la différence entre la capitelle Provençale, la cazelle Ardéchoise, la chambrette Languedocienne que nous eftmes l'occasion de côtoyer dans notre pèlerinage en ce fouillis de massifs enchevêtrés, de monts arasés, de versants décapités par les pluies intenses du sud? "Little Big Man", le "Petit Grand Homme" -ainsi Jean de Limoux a baptisé le frère Jacques- nous apportera sans doute la précision à la prochaine entrevue...

     La retraite cyclo-œnologique de Buis -les-Baronnies fut essentiellement et une fois de plus une réussite. Même si quelques éléments se retirèrent plus tôt que prévu sans goûter au charme des derniers passages en GR ni à la détente du dernier pot tout près des ombrageux platanes en habit d'été retrouvé.

      Passant de promontoires en cuvettes, des friches sèches et hirsutes aux vignes tressées des coteaux humanisés, nous avons cueilli là de minuscules plaisirs qui sont n'en déplaise aux jeteurs de sort de petites haltes au Paradis.A y regarder de près, souvent les moments les plus anodins deviennent les plus vibrants. Gilbert l'avait annoncé sur la feuille introductive au voyage en projet. Sa prédication fut on ne peut plus juste. Pourtant au fond de mon cœur, j'ai un peu moins retrouvé la ferveur de la première fois. Mais il n'y a qu'une première fois. Etait-ce la manque d'intimité des grands couloirs du VVF, la nostalgie du bonheur qui fuit, la rapidité avec laquelle se sont écoulées ces deux journées? Va-t-en savoir!

     Ai-je gagné des indulgences moi qui n'ai manqué aucun des cols proposés, frayant un passage caché sous la feuillée pour gravir le Bure que Martial alla chercher martialement comme un Romain au combat par la pente directe? OK, je m'inscrirais aux cent cols... à la retraite. Lorsque j'aurai le temps de répertorier, de classer, de compter, chaussé des lunettes de presbyte- que je porte à l'occasion- En attendant, roulons encore, il est encore et toujours temps. Et rendez-vous du côté de février et des Albères, sous un soleil moins hardi pour un nouvel événement rassembleur et de nouvelles conquêtes.

                                                                              

Frère Victor de l'Abbaye d'Aniane.                                                     '\