RATABOUILLADE à le Vigan (Gard) organisée par Christine et Guy Cambéssédes |
du 10 au 13 mars 2023
Cols proposés sur les parcours: col del Fion (FR-30-0435); col de Bouliech (FR-30-0385); col du Perras (FR-30-0598); col des Aires (FR-30-0520); col des Mourèzes (FR-30-0537).
Voir le reportage photos d'Alain: https://photos.app.goo.gl/yeuJFF3SftqngycC7
de Chantal: https://photos.app.goo.gl/H1bage5CQziiNy8M6
et de Victor: https://photos.app.goo.gl/1GuWdSLRFCtjdowe9
Compte-rendu de Victor Sieso:
Jamais randonnée centcoliste d'hiver n'avait été reléguée si loin du solstice de décembre et si près de l'équinoxe de printemps, et surtout reléguée si loin en ce millésime impair, alors qu'il y avait eu deux reports pour raison de covid ou d'empêchement de l'équipe organisatrice. On n'y croyait plus et puis voilà que des courriels de Guy et Christine annoncent que le centre de vacances camping de la Pommeraie rouvre ses portes, que tout est ok, du petit déjeuner que l'on préparera nous-mêmes au dîner vespéral apporté par un traiteur local. Hors des battues administratives, les chasseurs laissent aussi le terrain libre pour les promeneurs de tout acabit dans les massifs montagneux.
La ratabouillade étant paraît-il la 52° du nom (depuis 29 ans que se forgea le groupe informel), il semble normal aussi que des représentants de la première heure fassent défection, il peut se passer tellement de choses en une génération et plus. Gérard, Bernard, Christophe, Pascal n’émargeront pas pour cette escapade cévenole entre amis, mais l’effectif arrivera au chiffre tout rond de 20 personnes, ce qui est mieux tout compte fait que lors de notre première excursion vers Tende. Pourvu que ça dure ! « Le temps suit les amis à coups de serpe, à coups de rides, le cheveu blanc candide au petit matin… » (Michel Arbatz).
J’ai vaguement regardé les parcours proposés, ils sont taillés pour notre génération de pédaleurs sexagénaires et bien davantage. Pas plus de la trentaine de bornes et des grimpées en dessous de 1000 m sur le papier. Même celui ou celle qui n’aurait pas la condition pouvait se permettre de venir. Des cols, il en reste, franchis ou pas, peu importe, le plaisir partagé des retrouvailles sur le terrain, voilà ce qui compte, et là, pas la peine d’un tableur Excel.
Guy avait annoncé sur la foi d’une météo moyentermiste des gelées le matin, du soleil dans la journée, bref des conditions plutôt optimales. Mais c’était sans compter sur un retour de bâton atmosphérique : une tempête Larisa de son petit nom laissera de son passage à travers le pays une queue de vent bien pimentée en notre sud. Des poussées folles de tramontane, ou de mistral, des pointes jusqu’à 140 pas que sur les côtes ou les caps, mais encore sur les crêtes et les vallées. On n’y croyait pas la veille tant tout était calme, posé, tranquille, mais lorsqu’il a fallu conduire vers le bassin pourtant abrité du Vigan, entre Causses et Aigoual, pour la rencontre préliminaire de vendredi midi, bonjour la furie, on pouvait compter les abattis sur la chaussée, brindilles, branchages, feuillages, bourgeons décapités : ça mugissait avec haute intensité au point de craindre la chute d’un tronc sur les voies.
Nous ne jouerons pas au plus fort. Éole méconnaissable dans sa colère musellera nos intentions de vadrouille vélocipédique. Assentiment général, approbation de la décision de Guy : on irait après un rapide en-cas post installation en nos chalets respectifs, découvrir à pied les environs immédiats de la proche rive droite de l’Arre. Un pont de mousse, un pont de pierre, des peupliers et des aulnes malmenés, des moutons affolés sortis du pré et qui ont failli pétanquer en bout de parking. Drôle de temps, drôle de ciel, mais la nuit porte conseil, sauf qu’elle apportera la pluie. Entre rafales rageuses, on entendait en même temps la main d’Eole et la manne de gouttes. Rien ne presse en ce samedi gris, le jour s’est levé triste mais bien moins agité que la veille ou même la nuit. On attendra les 10 heures pour être sûrs que l’éclaircie se manifeste vraiment et en grand, que la précipitation cesse, et que l’on s’ébranle tranquilles, rassurés, vers le col des Mourèzes, rattrapé entièrement par la route, ce qui n’est pas plus mal pour laisser s’égoutter la végétation et ruisseler petitement le goudron qui finira par briller au soleil, accessoirement pour une commode mise en jambes.
On se posera avant de rentrer dans le dur d’une remontée vers la serre de Lusette (mais nous ne resterons qu’au pied de cet épouvantail bien trop perché et éloigné du propos promenade concocté par Guy. Pique nique tiré du sac, halte pas si frileuse que ça puisque les rayons ont timidement réchauffé un coin abrité de la piste dfci. Du soleil, il va en venir, et des secousses venteuses, il n’en manquera pas non plus : ça grondera encore vers la maison forestière, la déferlante grise s’abattra vers le col du Minier, ouf, on arrivera au logis de nos hôtes perché sur les hauteurs nord de la ville en ayant serré les freins à mort sur les virolets d’une monotrace empruntée voici une semaine pour un trail très couru et courtisé. Guy nous racontera qu’il a passé un peu de son temps de confinement, voici trois printemps, à refaire propre une partie de ce cheminement un peu oublié.
Nous serons de bonne heure à la Pommeraie, Alex et Pierrette témérairement on pratiqué un peu de vélo route, vers Mandagout, quant à moi, je retiens une bonne paire d’heures supplémentaires pour gambader au hasard vers Molières, Cauvalat , Bréau et Rochebelle, enveloppé de visions d’arc-en ciel, solubles et triples, de tourmente affreuse, pour terminer un peu arrosé à deux pas de la grande voie longeant la ville par le sud. Avec moi, quelques beaux spécimens de poireaux des chemins et du bord des routes, ils se laissaient déchausser à l’aise avec la pluie de la veille. On a pédalé, on a trimé, on aura droit après la pintade et avant le plumard à la grolle de Savoie, après trois ans de privation: Régis a tout prévu, il n’a rien oublié, citron, alcool à flamber, café et même allumettes. Le temps demain ? Advienne que pourra et « moutaren tan que pourren », devise occitane qui vaut bien le modachul’vélo de là -bas !
C’est dimanche, le courant d’air s’est inversé, le maelstrom terrifiant farouche, féroce plein de hurlements s’est définitivement éloigné. Cela pourrait s’assimiler à une mini tornade, à un petit cyclone, tels qu’il s’en déclare vers les côtes d’Amérique, mais le climat devenant si fantasque, il ne faut plus s’étonner qu’un de ces quatre, plus d’arbres tombent qu’il n’en est tombé. Car nous apprécierons ici et là l’étendue des dégâts localement, en forêt, sur les versants, le long des pistes, nous verrons des poteaux couchés, des fils à terre, des racines en l’air, de fières cimes embrasser le sol. Bigre, que de bois mort dont se sont purgés les futaies, et les Douglas en feuilles ont laissé un beau tribut pour les saprophytes qui termineront la décomposition des fibres. Par endroits c’est comme si un girobroyeur était passé, alors qu’il s’agissait des sautes d’humeur issues d’un différentiel de pressions.
Belle aubaine que de rouler sans encombre, sans crainte d’une facétie des airs, dans la lumière neuve et joyeuse d’un accueillant matin. On a longé l’Arre où je n’ai pas vu tant de pêcheurs que ça pour un jour d’ouverture, on s’est élevés vers les hameaux discrets de Bouliech et d’Espériès, des bouts du monde aujourd’hui réhabités après la longue histoire de l’enfermement dans les villes. Nous serons à St Bresson sans encombre pour la halte « al repetell del sol » (à l’abri et au soleil), mais qui ne réchauffait pas tant que ça, on ne va pas s’en plaindre, « l’estoufadou » viendra en son temps. Village mirador dominant la Vis, le pays Gangeois, libérant le regard vers Séranne, le Causse et la longue crête entre col de la Barrière et col de l’Homme Mort. Du coucou au cornouiller en passant par la jacinthe, le muscari, le prunellier et le magnolia rose précoce, les prémisses printanières étaient bien là, en dépit de la prépondérante nudité des branches sur la ripisylve. Le narcisse sourit dans les jardins et le nombril de Vénus s’étire presque langoureusement contre les murettes des traversiers. Hier la France a imposé à l’Angleterre un Trafalgar sportif (un score pire que le 49-3 diront les connaisseurs). Laissons les amateurs de ballon ovale zyeuter le match Irlande-Ecosse, moi j’irai étrenner les shorts en baladant à pied encore, de quoi me mettre en appétit pour l’apéro inter-régional qui précédera l’ultime repas traiteur où nous dégustâmes un sublime sauté de mouton (ou de veau ?) dans du riz au curry.
Déjà lundi, la tempête ébouriffante, c’était voilà deux jours. Le temps est redevenu idéal, quasi automnal, recueilli, intimiste, tout bon pour visiter les enfoncements secrets entre Loves et Campis. Terrain plus gneiss que granit, ça s’effrite et c’est jaune ; on sera dans les pins, les châtaigniers, les bruyères et nous longerons tout un versant bucolique où les pendeloques des chatons des noisetiers garnissaient joliment les pourtours d’une bergerie comme perdue. Guy avait d’ailleurs averti l’éleveur de chèvres du coin de notre passage mais nous n’avons rien vu, calme plat, beau silence (des agneaux aurait dit le cinéphile). Ultime parcours de petite envergure, normal, c’est pour la matinée seulement, mais qui ne manquait pas de crinquettes où, si l’on n’était pas à pousser les vélos, on ahanait à l’équilibre à l’allure où l’on compte les brins d’herbe.
On se refera la cerise au salon des pompiers (ils étaient là en formation le vendredi matin), on nous a encore fourni l’en-cas de la mi-journée, bravo l’organisation, mais pas trop d’alcool pour la route. Certains étaient d’ailleurs rentrés la veille, d’autres à notre départ in pedalibus en ce 13 mars (Pierrette, Chantal, Alex et Alain se reconnaîtront). Quelque part dans l’espace de la vaste salle ont plané les images et l’évocation de deux des nôtres emportés en 2019 et 2021 et qui ont tant fait pour que durent ces rencontres. Et Guy fera passer à ceux qui n’étaient pas au courant, le faire part du décès, survenu en janvier dernier, de l’Eddius alias Paul Fabre parti lui aussi rejoindre les cieux. Lui ne faisait pas partie de notre groupe, n’a pratiqué que la route, mais encore a maintenu dans le monde cyclotouriste le verbe truculent, la plume pittoresque et fine.
Regardons l’avenir, demain, pour septembre quoi, selon notre calendrier tout aussi informel que le groupe, nous devrions en découdre en Ardèche-Vivarais. Dans l’attente, chacun, chacune, roulera à sa manière et puisque giboulées de mars nous essuyâmes, je termine par ces lignes en forme de poème, sorties d’un vieux carnet, anonyme comme il se doit :
Mars qui rit malgré les averses prépare en secret le printemps...
« Dans le soleil de mars les branches sont d’argent
La mousse reverdit aux rochers de grès rose
Les crêtes au lointain ont pris pour vêtement
Le bleu des horizons où le songe repose
Au fond de l’air léger flotte l’odeur des pins,
Et pas une brindille, pas une fougère
Poussées par le printemps le long de mon chemin
Qui ne mériterait une ode toute entière.
Jusqu’au souffle des vents ou l’écorce des troncs
Qui pour le moins vaudraient l’effort d’une ballade,
Le rythme d’un sonnet, l’essai d’une chanson,
Sous le soleil de mars en cette promenade."