Ratabouillade Garlabanesque, dernier week-end de février 2020 

 

 
Ratabouillade organisée par Martine et Michel Medina 

   Voir le diaporama musical de Martine: https://photos.app.goo.gl/WKyZB9HD7pw4zQzo6
 

Le compte-rendu de Victor Sieso

Les chenapans du Garlaban n’auront pas eu beau temps tout le temps. Ce n’est pas la sardine qui bouchait le (vieux) port voisin de Marseille mais bien l’épais nuage noir qui barrait les reliefs nord de la cité phocéenne, juste pour l’ouverture du samedi. N’exagérons rien, on aura eu le bleu du romarin fleuri, celui métallique de la filaire discrète et entre les nues dégagées ; le bleu d’un après midi pour dimanche. Ils furent deux bonnes douzaines à rallier en paquets séparés la belle bastide des Escourches, isolée dans le feutrage d’un maquis étonnant à deux pas des voies multiples jouxtant les autoroutes littorales. La chaleur régnait presque dans l’Hérault que nous quittâmes vendredi, début d’après midi depuis Castelnau le Lez, du domicile de Bernard : beau temps en hiver ne saurait durer…Route soleilleuse presque estivale, anormal !




La bastide du XIX°, que pour nous !

 Ils ne furent pas la dizaine celles et ceux qui par avance vinrent tâter le terrain la veille du samedi en se retrouvant pour un petit circuit de 20 bornes pas plus (mais avec queqlues cols semés) , déroulé autour du Rove, près de Carry, à l’ouest de Marseille, à l’initiative de Gérard. Ceux-là décrochèrent le pompon du plus joli ciel de notre rencontre, avec vues lointaines, tiédeur printanière, parfums assortis sans doute dans les collines blanches et caillouteuses. Nous trouvâmes, guidés par l’électronique connectée qui n’en fait qu’à sa tête, la belle bastide inattendue au bout du chemin de la montadette : havre de repos, de silence, somptueuse propriété mussée dans la pinède, où se cache aussi un sinueux canal issu de la Durance, qui coule toujours et qui va desservir Marseille ou ses environs. Hauts plafonds, cheminées décoratives, tableaux provençaux aux coloris éclatants, photos de Pagnol aux murs, qui trouva en ces lieux source d’inspiration pour les écrits de ses souvenirs d’enfance que tout le monde a dévorés voire relus à l’occasion. Une demeure de charme ma chère !



Ça c’était fin janvier 1999…

  La Bastide n’est pas un gîte comme les autres, c’est un peu plus haut de gamme, on se répartira en des chambres pour deux et on se fera servir les dîners et les petits déjeuners tout contre le vaste salon d’honneur que nos hôtes sympathiques, un couple qui a racheté et redonné vie au domaine, voulait mettre à notre disposition pour las agapes apéritives prélude obligé aux repas de chaque soir. De fait, les retrouvailles fraternelles et arrosées se dérouleront en une voisine annexe plus récente où un espace de convivialité verra descendre les bouteilles et les canapés divers et variés. Une constance qui fait aussi un peu la marque du groupe.



  Du Garlaban, je me souvenais des lignes à haute tension griffant l’azur intense de ces jours lointains et glacés que nous vécûmes depuis le gîte mal chauffé de Puyloubier, au pied du massif de la Sainte Victoire. Lointaine sortie déjà à l’initiative de Michel et Martine qui ont concocté l’actuel séjour recentré et remanié. Je me souvenais aussi de l’abondance des cailloux pointus sur les pistes et les sentes, plus vaguement de la lourde enclume qui porte la croix sommitale du mont fétiche des Allaudiens (ceux d’Allauch), et plus du tout du vallon à falaises où le vélo dut être passé de main en main pour franchir les marches de pierre verticales, le sentier des Marseillais que ça s’appelait. 
  Il avait été dit que voici 21 ans (nous vînmes au Garlaban fin janvier 1999), on gratta en une journée l’ensemble des cols que l’on ira chercher sur les deux jours du programme. J’ai revu mes notes, les diapos : on se paya 50 et 48 bornes, pas si loin de ce que nous avons réalisé cette fois donc. Voilà qui redonne confiance en nos moyens actuels.



Encore une image de 1999, dans Garlaban

Et pourtant, des moyens, on n’en dispose pas autant qu’auparavant, puisque certains ont renoncé au vtt au profit du vélo, et ce depuis quelques ratabouillades (à noter que personne pour cette fois ne s’est pointé pour faire de la randonneuse), que d’autres ont eu des alertes médicales, des cures chirurgicales, doivent prendre quelque médicament. Personne n’est à l’abri de l’involution lente et inexorable qu’inflige le décours du temps. Certains depuis plusieurs années ne viennent plus, âge trop avancé, perte de motivation, crainte de retarder le groupe, itinéraires trop exigeants, affection en cours, que sais-je encore. Mais notons que la belle majorité demeure présente, garde la tête et les jambes enviables, et ça c’est indéniablement réconfortant.
 Il plana certes l’ombre du grand absent, définitivement en allé, l’instigateur de la création, année après année, de ce groupe de fidèles. Cela commença en cette lointaine fin d’été 1994 à la frontière des Alpes d’Italie. Ce grand absent à qui l’on dédiera naturellement toutes les ratabouillades à venir, dont cette édition même : l’irremplaçable JPR. Il plana aussi une autre ombre sournoise qui allait faire parler d’elle les jours et les semaines suivants (voire les mois à venir), celle d’un certain agent infectieux qui même sans être moindrement vivant allait chambouler l’organisation de notre belle société mondialisée, à commencer par l’Asie, puis s’emparant de tous les autres continents.



Le groupe de février 2020…

Qui d’entre nous reste addict aux cols ? Il en est qui renoncent au décompte après le premier millier, d’autres qui arrêtent avec un score deux à trois fois supérieur. D’autres qui continuent, mais en pointillé, grappillant à l’occasion un nouveau venu perché, perdu, accessible au deux-roues ou pas. Moi qui n’émarge pas à la confrérie, je reste toujours amateur de la découverte des ensellements, dût-elle se faire pédestrement. La curiosité reste intacte, le recensement m’importe peu. On devait être la bonne vingtaine au départ le samedi 29, février tombant sur une année bissextile, ce doit être une première car nos rendez-vous étaient en général plus précoces dans le mois. Le ciel sans surprise (cf. ci-dessus) arbore un faciès hideux, on ne reconnaît plus le midi éclatant, le vent sinistre balance les longs pins, la brume véloce mange la vue. Guy C. qui n’aime pas la pluie au même titre que les chats déclare forfait, misant sur un dimanche plus accueillant.



Grisaille de samedi…

Le vent humide de la mer ne tarde pas en effet à nous envoyer la pluie de travers sur la lande désolée, il faut se protéger, il ne fait pas chaud pour un sou. Adieu le graphisme dentelé de la rocaille contre le ciel lavé et la mer bleu foncé. Les gouttes battent des flancs qui gardent encore les séquelles d’incendies ravageurs. L’aridité de ce maigre pelage mouillé de Garlaban, ce n’est pas que la faute des flammes, aussi celle de la cognée, de la gloutonnerie caprine, qui ont délogé le chêne de sa zone de prédilection : reviendront-ils les yeuses et les chênes blancs ? Pas aussi vite que les résineux qui si prestement s’embrasent l’été !



La vaste ville s’est quand même laissée voir, étalée, blafarde, distante, presque miniature dans l’immensité de ces collines. On devinera ND de La Garde, jalon identitaire de l’agglomération tentaculaire. Martine nous avait mis l’eau à la bouche en évoquant le pays des sources cachées, elle n’avait sans doute pas pensé à l’eau du ciel. Du coup Garlaban arborait un visage moins coutumier avec comme des rocs sombres et des crêtes ensevelies si longues à se décaper de leur ouate noire. Pourtant il y eut le teint igné des résidus de bauxite à la tète de Puy Rouge, puis le vert d’un vallon tapissé de nobles pins sous le col de l’Amandier. Par chance le groupe trouva un abri de fortune sous quelques branches basses à l’heure de casser la graine. L’averse eut alors la bonne idée de cesser, laissant un terrain détrempé durablement.



…suivie de pluie avant midi

  Ouf, le retour par les parages de Taoumé allait se dérouler avec des conditions plus clémentes, et c’est en sortant de l’antre sombre (et glissant) de BaumeSourne que nous aurons droit au clin d’œil d’un Phébus vainqueur des résidus poisseux et gris. Le ciel se mettrait-il déjà en place pour demain ? La tournure atmosphérique suffit à redonner toutes les espérances pour un dimanche à la hauteur de ce coin méditerranéen, mistral incrusté ou pas ! La grolle bouillante et fumante circula au-delà du souper, il s’éleva même un joli chœur à la gloire d’un soleil d’Espagne que Jean-Pierre savait nous servir à propos au bon moment. Garlaban ouest était donc au menu dominical. Nous voici en mars déjà. Du côté de chez nous, c’est la randonnée du Salagou, la cavalcade du Pouget, le grand début des sorties interclubs. La saison est longue, on aura le temps de se rattraper. La pluie s’est encore invitée de nuit et nous laisse pour ce matin sous une grisaille tranquille, peu inquiétante, l’éclaircie étant promise pour les heures à venir. 26 km de goudron pour commencer, mais par des voies idéalement calmes, étroites, assez plates. Laissant Gémenos d’un côté, Roquevaire de l’autre, on filera vers Auriol non sans avoir accompli une bouclette pour pointer à deux cols (390 et 325 m, le premier bien trapu dans sa rampe cimentée). Gérard est curieusement à la traîne, il préfèrera rentrer dans l’après-midi à son allure par des voies plus fréquentées des autos que des vététistes, ce qui n’est pas dans ses habitudes.



Vers la Baume Sourne

Le col des Marseillais, sorte d’épouvantail quand on devine la puissante élévation du chemin au départ de La Destrousse, sera avalé sans plus d’appréhension par tous, la coupure repas ayant été judicieusement choisie à la citerne 480, sise déjà à une bonne altitude. La douceur s’installe, presque une tiédeur printanière. La lumière redonne vie aux reliefs de la montagne que nous aperçûmes la veille engloutie et embrumée. On y croit: Ste Victoire et Ste Baume finissent leur dévoilement, le ciel n’est plus gris et blanc mais passe au bleu métallisé (il ne manque plus que les cerisiers blancs et on entendrait Bécaud proclamer le printemps !). Pour fêter ce surgissement de lumière et de lointains, Bernard et moi grimpons fissa au tertre dominant le couloir autoroutier, mais le point culminant sera plus loin, justement sur les hauteurs enfin dégagées de Garlaban. Jacques en profite pour briser sa chaine en pleine descente, incident vite réparé, c’est un récidiviste en la matière ! On va l’appeler le fataliste !
   Nous lâchons d’ailleurs la piste facile pour glaner les derniers cols, Aubignane et Salis, que je n’identifie absolument plus à une génération d’écart. Le franchissement des petites barres calcaires pour accéder au vallon secret du « temps qui passe » ne m’évoque pas plus une quelconque incursion antérieure. Et pourtant, les photos sont là ! 



Cap vers Garlaban…

La grotte de Manon est un bel abri sous roche exposé à l’occident radieux maintenant. Le temps de le visiter en long et en large, tout le versant s’illumine avec ses romarins épanouis en bleu pâle. Les reliefs s’exaltent, la mer brille intensément, mais le temps des cigales n’est pas encore là et je n’ai guère vu d’abeilles voltiger de fleur en fleur. On délaisse la ferme d’Angèle où fut tournée une partie du film tiré de l’œuvre de Giono (un de Baumugnes), dans les années trente (près d’un siècle, fichtre) et on retombe sur La Treille. Moment de recueillement face à la maison de campagne de Pagnol, une modeste construction presque cachée par les maisons voisines plus récentes et d’importance. Presque plus vivante en contraste était la tombe ornée de l’académicien au discret petit cimetière d’Allauch, où l’auteur truculent et fin repose avec sa femme Jacqueline. Le ciel ce soir s’affiche insolemment pur, un croissant de lune d’un côté et de grosses belles étoiles mouillées dans l’encre profonde de la voûte endormie. Est-il possible que demain lundi, ainsi que l’annoncent toutes les météos captées par nos outils portables, la pluie s’invite dès le petit jour ? Le massif de l’Etoile sera-t-il à notre portée ? Buvons en attendant cette bière verte de Savoie parfumée au génépi, que Pascal nous a ramenée de son terroir alpin.



Une plaque inattendue…

Les Alpes, tiens, voilà notre future prochaine halte pour septembre à venir, cela sera confirmé par Régis, et la rencontre de mars prochain est aussi en piste : retour vers les Cévennes avec nos amis Viganais Guy et Christine. Il était donc difficile, presque impossible de croire, avec les étoiles chatoyantes et le fier croissant de lune éclatant du dimanche après la grolle de 22 heures, que le lendemain allait se révéler sinistre. Toutes les météos du ciel et de la terre disaient la même chose: la pluie, la dépression durable. Et de fait les gouttes rageuses ont frappé contre les vitres en fin de nuit. L’affaire était entendue au moment du petit déjeuner du lundi où personne ne se présenta en tenue de pédaler (Jacques pour conjurer le sort y vint en short et coupe-vent, mais à fataliste, fataliste et demi !). Il fut question d’un tour routier vers Espigoulier. On ne tenta même pas de se rendre au point de départ à Mimet, à quelque brève distance au nord où s’entamait le parcours dans la chaîne de l’Etoile. Seul Christophe, venu de très loin et attentiste, tirera son épingle du jeu en allant visiter le coin avec quelques heures de décalage. Les alentours du Pilon du Roi convoités, pressentis, s’éloignaient, noyés dans le brouillard et sous les méchantes rafales d’un souffle dépressionnaire surgi du fond de la nuit, tout chargé d’humides mauvaises intentions. La seule solution de repli était de tout ranger, de partir en voiture, de remettre à plus tard. Les intentions pour septembre et mars prochains avaient été annoncées, occasion d’une revanche à venir. Pas de regret. Pas de déception, on aura roulé deux pleines journées, voire plus pour les chanceux du vendredi. Le chemin du retour vers le Clapas sera marqué par le rétablissement d’un régime d’ouest fougueux, assorti d’averses maigrelettes. Le vent et la pluie, les deux ennemis jurés du cyclo…L’hiver, même dans le Midi privilégié, il faut le franchir ! Nous laisserons aux étés à venir ce désert parfumé, ce paradis des cigales, ces collines brûlées de soleil, ce midi nanti de flèches d’or, les yeux blonds d’un soleil immense, l’océan de vermeil. Il est permis de rêver. Manon, Angèle, Pagnol, Giono, Fernandel, Raimu, Orane, on ira sans attendre 21 ans de plus les revoir pourquoi pas au musée d’Allauch dédié à cette Provence des sources mystérieuses, des calcaires éclatants, des grottes sombres (la baume sourne). 



Enfin le soleil de Provence !