Sortie vtt, à Anduze, Porte des Cévennes, samedi 21 et dimanche 22 février 2015

 

      « L’an 01 es arribat », je parodie Marti, le chanteur occitan : après vingt ans de vadrouille vtt du groupe, dûment fêté en septembre dernier, un cycle nouveau recommence donc. Il n’ira pas aussi loin, faut pas se leurrer, mais il ne tient qu’à nous qu’il aille aussi bien.

      En cette année impaire, ils étaient une bonne trentaine à se retrouver à l’Ethic-étape du Val de l’Hort, juste contre le Gardon d’Anduze, au pied de la ville, en terre huguenote. Il est risqué, même dans le sud si souvent épargné des méfaits de la saison froide, de proposer des sorties par monts et par vaux, en partie hors route et sur sente. Plus d’une fois on s’est trouvé aux prises avec les bises glacées, la pluie froide ou les terres trop gelées. Mais bon an mal an jamais il n’y a eu forfait complet, toujours un noyau de fidèles s’est retrouvé au pied du mur ou au chaud d’un gîte, pour parler vélo, cols anciens et cols nouveaux, quand ce n’est pas cols transitoires ou cols virtuels.

      Le coin gardois qui aux dires du promoteur du w-e Jean Pierre promettait soleil et abri, nous a réservé juste ce qu’il fallait pour un mois de février même finissant : de la pluie frisquette le samedi et le grand coup de balai venteux le lendemain. Mais comme de bien entendu, on passera entre les gouttes et sous les rafales plutôt lumineuses.

      Pour le coup, le paquet des pédaleurs du premier jour se trouva en contingent réduit, il faudrait dire plutôt, le groupe des marcheurs et des marcheuses grossit à la mesure d’une météo très grise et bien humide. Jamais je ne vis un JPR aussi indécis avant un départ face aux quatre gouttes qui persistaient à 9 h samedi : cape ou pas cape ? Café ou pas café ? Capables ou pas de démarrer ? On s’ébranlera poussivement sur la route trempée vers Générargues, laissant à droite la crête de pins dans sa brume et sa lessive fumante où l’on aurait dû s’escrimer en guise de mise en train.

Peu importe, unis en équipe solidaire, on ne sent pas les gouttes, on est content de palabrer avec un décor qui même bien encrassé ne manque finalement pas de charme ni de magie.

Les rampes entre Le Ranc et La Bruyère garderont leur mystère. Les belles pinèdes enveloppées là haut dans les brumes, nous n’aurons pas eu l’honneur ou le bonheur de les visiter. On compensera par l’exploration bien humide des molasses de St Sébastien d’Aigrefeuille, une vaste commune dont le territoire étendu comptait dans le temps pas mal d’exploitations minières, métallifères plus que charbonnières en apparence. Au col de Mayelle, la pluie semble vouloir se ranger, la ligne blanche du mont Lozère se laisse deviner par delà les vallons multiples où se distingue la voûte énigmatique de la Montagne de la Vieille Morte, une zone qu’on pourrait bien aller explorer un jour tant il semble me souvenir (années 80) qu’elle comporte nombre de laies, de « corriols », de « camins », et donc forcément des cols.

Le café commerce de proximité de St Paul Lacoste (que JPR a nommé St Victor sur son plan !) est ouvert. Il était prévu qu’on y fasse la halte de la mi-journée, mais avec la belle amputation initiale de parcours, on y sera bien avant midi. Qu’importe, on fera table pleine et longue et joyeuse, bien contents de ne pas subir les désagréments du petit souffle d’ouest qui dehors commençait à se mettre en place et à mobiliser un peu les nues constipées. Au moins, dans l’intervalle des victuailles partagées, l’éclaircie aurait le temps de nous préparer une autre lumière. De fait, les capes seront rangées définitivement à la reprise de nos machines, et nous poursuivrons sur goudron jusqu’au col d’Uglas, même un peu au-delà pour aller chercher un nouveau venu, un col du Pas, qui a failli d’ailleurs provoquer une querelle d’experts et de spécialistes tant sa localisation exacte et son altitude ne correspondaient pas aux indications inscrites sur le plan papier.

J’aime bien, moi qui suis un peu en dehors de la confrérie des Cent Cols, porter un regard extérieur sur ces détrousseurs d’ensellements tous azimuts, à officialiser ou pas. Et d’imaginer des passages virtuels, éphémères, exclus ou inclus au gré des décideurs. Et de jouer sur les mots et expressions : té, Porté, Porta, Collet de Dèze, Collobrières, Passa, ça sent le col à plein nez non ? Mon préféré serait le pléonasmatique Col du Pas (il y en a au moins un autre en Cévennes, à 833 m!) pour lequel je contracte un bail emphytéotique (99 ans et pas cent, attention !), laissant de côté le singulier Pas du Porc (cochon qui s’en dédit, allez le chercher, si vous pouvez, du côté de Carança, avec ses dalles glissantes au dessus de 2500m !) Et quid des « collerets » et des « collerettes » ? Lorsque nous serons passablement abîmés (par l’âge), on gardera quand même nos passe-montagnes (pour les févriers à venir), on ne sera pas passéiste pour un sou (col de Sous, ça se trouve, dans les Pyrénées), ou ira monter encore et toujours des cols sans paraître trop collet-montés, et si vraiment à l’instar d’un Kikou qui a du mal à se motiver, on tiendra davantage au bâton de marche qu’au guidon multifonctions, alors on avancera d’un bon pas en brodequins photographier la passiflore en souvenir nostalgique des pas légendaires que nous franchîmes antan.

Le café d’Ahmed a fait son effet : plutôt que de dévaler bourgeoisement l’étage collinéen en rebroussant sur la même route qu’à l’aller, on survolera St Paul La Coste depuis la crête que suit assez fidèlement le GR 44B. Belle piste au démarrage des 539 m de l’Uglas, puis infâme boyau caillouteux dans le dédale des branches de chênes et d’arbousiers. Le maquis a recolonisé les anciennes terres de parcours des troupeaux qui un siècle en arrière devaient se présenter tondues et pelées et que voilà maintenant arborant une végétation propre à attirer le gibier, les promeneurs et les chasseurs (y compris de cols).

Un large soleil parachève ce samedi multicolore que le mistral salvateur s’évertue à purifier de plus en plus. Au col de l’Escoudas, après l’épisode des lapiaz glissants que seuls auront connu l’autre Jean-Pierre néo catalan et moi-même catalan depuis des décennies, Guy a fait jonction avec notre groupe. Il devance les quelques uns (et unes) à s’être mis en selle devant l’embellie prometteuse de l’après midi. Ils feront un circuit qui les ramèneront, assez tardivement d’ailleurs, à Carnoules, parcours qui grimpait paraît-il au-delà des Puechs, le pays de la grotte des Camisards, Trabuc.

Enchantement, fraîcheur brassée par le vent et vive lumière président au lendemain dimanche. Un ciel à boire, si bleu, que j’ai bien failli grimper à Lacan et à son antenne pour admirer un Ventoux dont nous serons frustrés absolument de la vision l’entière journée étant donné la direction de l’itinéraire, qui nous fera encore visiter des zones minières et des carrières engoncées dans des culs de sac de vallons secrets. Dernière carrière toujours en activité d’ailleurs, au niveau de laquelle j’ai bien failli perdre le groupe qui n’a pas su compter ses ouailles après un regroupement au pied d’une froide descente près du Gardon de Mialet. J’irai donc au hasard, sans carte ni boussole ni GPS ni mobile, au gré de mon intuition, par Rouveyrac, sa voie sans issue et la route de Thoiras qui se révèlera être la bonne. Croisant d’abord des cyclotouristes locaux, je tombe sur du VTT, là bas, en direction de Lasalle : il s’agit bien des compères insouciants qui semblent ne s’être rendu compte de rien, avec qui j’allais bientôt me retrouver (ouf !) pour en découdre sur un morceau trapu bien abrité sur un versant raide tourné à l’est. On joue à saute-montagne au coeur d’un pays libre où le beau temps s’est maintenant installé sans entrave.

Le grand soleil a libéré le ciel. Les grands enfants que nous sommes ont respiré « cet air de liberté par-dessus les frontières » (Ferrat), le carcan sombre de la veille est relégué aux oubliettes. Il subsiste nonobstant un friselis de glace sur les flaques à l’ombre, même si des halliers montent les premiers gazouillis des serins, mésanges et autres chardonnerets, infaillible signe que l’on va vers du plus doux et du plus suave. Deux ou trois baroudeurs parmi nous n’ont pas hésité à passer les shorts, bravant, à l’ombre tout du moins, les derniers hoquets gélifs que février fait descendre de loin, de la Lozère ou du Haut Vivarais aperçus bien blancs depuis les tertres crépus séparant les ruisseaux de Gardonnenque.

Le site du Col du Lièvre, à deux pas de Lasalle, sera le cadre idéal pour savourer la pause de midi. Le petit carré abrité était une ancienne vigne recolonisée par les pins maritimes à la belle écorce et aux longues aiguilles. La suite de l’exploration semblant sans histoire, on se prendra un supplément de terrasse au soleil au bar le Modern au village : comme la veille, le patron était content de voir passer un si joli groupe, même si c’était juste pour un thé ou un café. La belle équipe aura tout loisir d’aller chercher trois autres cols routiers, Les Puechs, Tourte et Bane, qui avaient une autre allure que lorsqu’on les passe en randonnée ou en brevet.

Apothéose terminale émotionnante par le château de Tornac de mieux en mieux considéré : c’est fou comme le Moyen Age a encore de l’avenir, les vielles pierres intéressent de plus en plus et c’est tant mieux, elles ont une histoire à raconter. Revoilà le verrou d’Anduze, son déroulé plat peuplé de bambous, transition entre les calcaires gris qui tranchent et les granits émoussés plus haut perchés. Il est tôt, une bonne moitié des participants filera au-delà du goûter rapide loin de cette ambiance tranquille, de ces décors d’antan, de ces paysages secrets qui ont su une fois encore insuffler leur aura de bien être.

Ceux qui restent, et pas des moindres, pourront ressortir de leur répertoire, entre l’apéro, le fromage et la Blanquette, des histoires à conter, des blagues pour rire, des « chistes » pour apprécier, des chansons à reprendre en choeur, même avec une audience réduite. Quant aux raconteurs au long cours, ceux qui font des petits ruisseaux et même de belles rivières d’écriture (bien vrai Noirmoutier alias Gaspard ?), ils continueront, il faut s’en convaincre, à mettre en réserve d’autres anecdotes pour les livrer comme ça au gré des humeurs et des hasards, couchées sur le papier (ou visibles sur les écrans) à celles et ceux qui prendront le temps d’y faire un plouf.

Et pour reprendre du collier (encore !!), levons nos verres et « beguem a la fraternitat », dixit Marti, en chantant !

                                                                           Victor, le passionné patient passeur d’épisodes bicyclistiques